L'école de Cavalerie

Présentation

Voici la deuxième partie de L'école de Cavalerie, celle qui est consacrée à l'équitation proprement dite, à l'exception des deux derniers chapitres «Des Chevaux de Carrosses» et «Des Tournois, des Joutes, des Carrousels, des Courses de Têtes et de Bagues».

Le texte ci-dessous est celui de l'édition in-folio de 1733, selon le reprint réalisé par les éditions Belin en 2000. L'orthographe et la typographie ont été en partie modernisées par mes soins. Certains mots comme «capriole», qui ont changé depuis le Siècle des Lumières, ont été ici conservés dans leur forme d'origine. La ponctuation est celle de La Guérinière, elle est sans aucun doute «baroque».

Il y a ici des trésors équestres; certains sont bien connus et commentés par tous, et d'autres semblent bien perdus, négligés, ignorés de nos jours!

L'école de Cavalerie

SECONDE PARTIE

De la manière de dresser les Chevaux, suivant les différents usages auxquels on les destine.

1. Pourquoi il y a si peu d'Hommes de Cheval; & des qualités nécessaires pour le devenir.

2. Des différentes natures de Chevaux ; de la cause de leur indocilité, & des vices qui en résultent.

II 3. Des Instruments dont on se sert pour dresser les Chevaux.

4. Des termes de l'Art.

5. Des différents mouvements des jambes des Chevaux, selon la différence de leurs allures.

6. De la belle posture de l'Homme de Cheval & de ce qu'il faut observer avant de monter.

7. De la main de la bride, & de ses effets.

8. Des aides & des châtiments nécessaires pour dresser les Chevaux.

9. De la nécessité du Trot pour assouplir les jeunes Chevaux, & de l'utilité du Pas.

10. De l'Arrêt, du demi -Arrêt, & du Reculer.

11. De l'Épaule en dedans.

12. De la Croupe au mur.

13. De l'utilité des Piliers.

14. Du Passage.

15. Des changements de main, & de la manière de doubler.

16. Du Galop.

17. Des Voltes ; des Demi-voltes ; des Passades ; des Pirouettes, & du Terre-à-terre.

18. Des Airs relevés.

19. Des Chevaux de Guerre.

20. Des Chevaux de Chasse.

1 Pourquoi il y a si peu d'Hommes de Cheval; & des qualités nécessaires pour le devenir.

Toutes les Sciences & tous les Arts ont des principes & des règles, par le moyen desquelles on fait des découvertes qui conduisent à leur perfection. La Cavalerie est le seul Art pour lequel il semble qu'on n'ait besoin que de pratique ; cependant la pratique dépourvue de vrais principes, n'est autre chose qu'une routine, dont tout le fruit est une exécution forcée & incertaine, & un faux brillant qui éblouit les demi-Connaisseurs, surpris souvent par la gentillesse du Cheval plutôt que par le mérite de celui qui le monte. Delà vient le petit nombre de Chevaux bien dressés, & le peu de capacité qu'on voit présentement dans la plupart de ceux qui se disent hommes de cheval.

Cette disette de principes, fait que les Élèves ne sont point en état de discerner les défauts d'avec les perfections. Ils n'ont d'autres ressource que l'imitation ; & malheureusement, il est bien plus facile de tourner à la fausse pratique, que d'acquérir la bonne.

Les uns, voulant imiter ceux qui cherchent à tirer d'un Cheval tout le brillant dont il est capable, tombent dans le défaut d'avoir la main & les jambes dans un continuel mouvement ; ce qui est contre la grâce du Cavalier, donne une fausse posture au Cheval, lui falsifie l'appui de la bouche, & le rend incertain dans les jambes.

Les autres s'étudient à rechercher une précision & une justesse, qu'ils voient pratiquer à ceux qui ont la subtilité de choisir, parmi un nombre de Chevaux, ceux auxquels la nature à donné une bouche excellente, des hanches solides, & des ressorts unis & liants : qualités qui ne se trouvent que dans un très-petit nombre de Chevaux. Cela fait que ces imitateurs de justesses si recherchées, amortissent le courage d'un brave Cheval & lui ôtent toute la gentillesse que la nature lui avait donnée.

D'autres enfin, entraînés par le prétendu bon goût du public, dont les décisions ne sont pas toujours des oracles, & contre lequel la timide vérité n'ose se révolter, se trouvent, après un travail long & assidu, n'avoir pour tout mérite, que la flatteuse & chimérique satisfaction de se croire plus habiles que les autres.

Nos grands Maîtres de l'Art(1), qui ont fait tant de bruit dans le temps heureux de la Cavalerie, & dont on regrette encore la perte aujourd'hui, ne nous ont point laissé de règles pour nous conduire dans ce qu'ils avaient acquis par une application sans relâche, fécondée par d'heureuses dispositions, entretenue par l'émulation de toute la Noblesse, & animée par la vue d'une récompense inséparable du vrai mérite. Comme il est difficile d'atteindre le degré de perfection où ils ont poussé la Cavalerie, c'est moins à notre nonchalance qu'on doit attribuer la décadence d'un si noble exercice, qu'au peu de modèles qui nous restent.

Privés de ces avantages, nous ne pouvons chercher la vérité que dans les principes de ceux qui nous ont laissé par écrit le fruit de leurs travaux & de leurs lumières. Parmi un assez grand nombre d'Auteurs, nous n'en avons, suivant le sentiment unanime de tous les Connaisseurs, que deux dont les Ouvrages soient estimés, qui sont M. de la Broue, & M. le Duc de Newcastle.

M. de la Broue vivait sous le règne d'Henri IV. Il a composé un Ouvrage in-fol. qui renferme les principes de Jean-Baptiste Pignatel, son Maître, lequel tenait Académie à Naples. Cette École était en si grande réputation, qu'on la regardait comme la première du monde. Toute la Noblesse de France & d'Allemagne, qui voulait se perfectionner dans la Cavalerie, était obligée d'aller prendre les leçons de cet illustre Maître.

M. le Duc de Newcastle, dit que M. de la Broue a porté ses leçons à un si haut point de perfection, qu'il faut être consommé dans ce métier, pour les réduire en pratique. Cet éloge, quoiqu'un peu critique, ne laisse pas de prouver l'excellence de cet Auteur.

M. le Duc de Newcastle était un Seigneur Anglois, Gouverneur de Charles II. Il a infiniment honoré la profession par l'unique étude qu'il a faite pendant tout le cours de sa vie ; aussi a-t-il passé pour le plus savant Homme de Cheval de son temps. Nous avons de lui deux excellents Livres. L'un est un in-fol. en François, imprimé à Anvers, & orné de Planches ; mais comme il n'en fit tirer que cinquante, dont il fit présent à plusieurs Princes & Seigneurs, & qu'il fit briser les Planches, il est devenu si rare, qu'à peine peut-on le trouver. Le second ouvrage de sa composition est un in 4°. imprimé en Anglois & traduit par M. de Soleysel, Auteur du Parfait Maréchal.

Quelques Auteurs, tant François qu'Italiens & Allemands, ont aussi écrit de L'Art de monter à Cheval ; mais les uns ont si fort abrégé les matières, dans la crainte d'y mettre du superflu, qu'ils ne donnent aucune idée distincte de ce qu'ils traitent ; & l'ennuyeuse dissertation des autres étouffe, sous une prétendue érudition déplacée, la simple vérité, qui est l'unique objet du Lecteur.

Il n'y a donc à proprement parler, que les deux Auteurs que je viens de citer, qui puissent servir de modèles : c'est pourquoi, dans la vue de faire un ouvrage méthodique, & fondé sur de bons principes, j'ai pris ce qu'il y a de plus instructif dans l'un & dans l'autre ; cela fera en même temps une espèce de parallèle de ces deux excellents Hommes, dont on ne peut trop respecter la mémoire; leurs Ouvrages sont cependant des trésors infructueux pour la plupart des Lecteurs, soit par le peu d'ordre qui y règne, soit par la quantité de redites dont ils sont remplis. J'éviterai, s'il est possible, de semblables reproches, par la précision avec laquelle je tâcherai de développer mes idées, qui deviendront encore plus sensibles, avec le secours des figures dont ce Traité sera orné.

Le sentiment de ceux qui comptent pour rien la théorie dans L'Art de monter à Cheval, ne m'empêchera point de soutenir, que c'est une des choses les plus nécessaires pour atteindre à la perfection. Sans cette théorie la pratique est toujours incertaine. Je conviens que dans un exercice, où le corps a tant de part, la pratique doit être inséparable de la théorie, puisqu'elle nous fait découvrir la nature, l'inclination & les forces du Cheval ; & que par ce moyen on déterre sa ressource & sa gentillesse, ensevelies, pour ainsi dire, dans l'engourdissement de ses membres; mais pour parvenir à l'excellence de cet Art, il faut nécessairement être préparé sur les difficultés de cette pratique par une théorie claire et solide.

La théorie nous enseigne à travailler sur de bons principes, & ces principes, au lieu de s'opposer à la nature, doivent servir à la perfectionner par le secours de L'Art.

La pratique nous donne la facilité de mettre à exécution ce que la théorie nous enseigne, & pour acquérir cette facilité, il faut aimer les Chevaux; être vigoureux & hardi; & avoir beaucoup de patience. Ce sont là les principales qualités qui font le véritable Homme de cheval.

Il y a peu de personnes qui n'aiment les Chevaux : il semble que cette inclination soit fondée sur la reconnaissance que nous devons à un animal, dont nous tirons tant de services ; & s'il se trouve quelqu'un qui pense autrement, il est puni de son indifférence, par les accidents auxquels il s'expose, ou par la privation du secours qu'il espérait tirer du Cheval.

Quand je dis qu'il faut de la vigueur & de la hardiesse, je ne prétends pas que ce soit cette force violente, & cette témérité imprudente, dont quelques Cavaliers se parent, & qui leur fait essuyer de si grands dangers; qui désespèrent un Cheval, & le tiennent dans un continuel désordre ; j'entends une force liante, qui maintienne un Cheval dans la crainte & dans la soumission pour les aides & pour les châtiments du Cavalier, qui conserve l'aisance, l'équilibre & la grâce, qui doivent être le propre du bel Homme de Cheval, & qui sont d'un grand acheminement à la science.

La difficulté d'acquérir ces qualités, & le temps considérable qu'il faut pour se perfectionner dans cet exercice, fait dire à plusieurs personnes, qui affectent un air de capacité, que le manège ne vaut rien, qu'il use et ruine les Chevaux, & qu'il ne sert qu'à leur apprendre à sauter & à danser; ce qui par conséquent les rend inutiles pour l'usage ordinaire. Ce faux préjugé est cause, qu'une infinité de gens négligent un si noble & si utile exercice, dont tout le but est d'assouplir les Chevaux, de les rendre doux & obéissants, & de les asseoir sur les hanches, sans quoi un Cheval, soit de guerre, de chasse ou d'école, ne peut être agréable dans ses mouvements, ni commode pour le Cavalier ; ainsi la décision de ceux qui tiennent un pareil langage, étant sans fondement, il serait inutile de combattre des opinions qui se détruisent suffisamment d'elles -mêmes.

2 Des différentes natures de Chevaux ; de la cause de leur indocilité, & des vices qui en résultent.

La connaissance du naturel d'un Cheval, est un des premiers fondements de l'Art de le monter, & tout Homme de Cheval en doit faire sa principale étude. Cette connaissance ne vient qu'après une longue expérience, qui nous apprend à développer la source de la bonne ou de la mauvaise inclination de cet Animal.

Quand la juste stature, & la proportion des parties sont accompagnées d'une force liante, & qu'avec cela on trouve dans un Cheval du courage, de la docilité, & de la bonne volonté, on peut avec ces bonnes qualités, mettre aisément en pratique les vrais principes de la bonne École ; mais quand la nature est rebelle; & qu'on n'est point en état de découvrir d'où naît cette opiniâtreté, on court risque d'employer des moyens plus capables de produire des vices nouveaux, que de corriger ceux que l'on croit connaître.

Le manque de bonne volonté dans les Chevaux procède ordinairement de deux causes : ou ce sont des défauts extérieurs, ou ç'en sont d'intérieurs. Par défauts extérieurs, on doit entendre la faiblesse des membres, soit naturelle, soit accidentelle, qui se rencontre aux reins, aux hanches, aux jarrets, aux jambes, aux pieds, ou à la vue. Comme nous avons détaillé assez au long tous ces défauts dans la première partie, nous ne les reporterons point ici.

Les défauts intérieurs, qui forment précisément le caractère d'un Cheval sont la timidité, la lâcheté, la paresse, l'impatience, la colère, la malice, auxquels on peut ajouter la mauvaise habitude.

Les Chevaux timides, sont ceux qui sont dans une continuelle crainte des aides & des châtiments, & qui prennent ombrage du moindre mouvement du Cavalier. Cette timidité naturelle, ne produit qu'une obéissance incertaine, interrompue, molle, & tardive ; & si l'on bat trop ces sortes de Chevaux, ils deviennent tout-à-fait ombrageux.

La lâcheté, est un vice qui rend les Chevaux poltrons & sans cœur. On appelle communément ces sortes de bêtes, des Carognes. Cette lâcheté avilit totalement un Cheval, & le rend incapable d'aucune obéissance hardie & vigoureuse.

La paresse, est le défaut de ceux qui sont mélancoliques, endormis, et pour ainsi dire, hébétés ; il s'en trouve pourtant quelques-uns parmi ceux-ci, dont la force est engourdie par la raideur de leurs membres; & en les réveillant avec des châtiments faits à propos, ils peuvent devenir de braves Chevaux.

L'impatience est occasionnée par le trop de sensibilité naturelle, qui rend un Cheval plein d'ardeur, déterminé, fougueux, inquiet. Il est difficile de donner à ces sortes de Chevaux une allure réglée & paisible, à cause de leur trop grande inquiétude, qui les tient dans une continuelle agitation, & le Cavalier dans une assiette incommode.

Les Chevaux colères, sont ceux qui s'offensent des moindres châtiments et qui sont vindicatifs; ces Chevaux doivent être conduits avec plus de ménagement que les autres ; mais quand, avec ce défaut, ils sont fiers et hardis, & qu'on sait bien les prendre, on en tire meilleur parti, que de ceux qui sont malicieux & poltrons.

La malice forme un autre défaut naturel. Les Chevaux attaqués de ce vice, retiennent leur force par pure mauvaise volonté & ne vont qu'à contre-cœur. Il y en a quelques-uns qui font semblant d'obéir, comme vaincus et rendus, mais c'est pour échapper aux châtiments de l'École; & si-tôt qu'ils ont repris un peu de force & d'haleine, ils se défendent de plus belle.

Les mauvaises habitudes que contractent certains Chevaux, ne viennent pas toujours de vices intérieurs, mais souvent de la faute de ceux qui les ont d'abord mal montés ; & quand ces mauvaises habitudes se sont enracinées, elles sont plus difficiles à corriger, qu'une mauvaise disposition, qui viendrait de la nature.

Les différents vices que nous venons de définir, sont la source de cinq défauts essentiels, & d'une dangereuse conséquence : savoir d'être, ou ombrageux, ou vicieux, ou rétifs, ou ramingues, ou entiers.

Le Cheval ombrageux, est celui qui s'effraie de quelque objet, & qui ne veut point en approcher. Cette appréhension, qui vient souvent de timidité naturelle, peut être causée aussi par quelque défaut à la vue, qui lui fait voir les choses autrement qu'elles ne sont ; souvent encore c'est pour avoir été trop battu, ce qui fait que la crainte des coups, jointe à celle de l'objet qui lui fait ombrage, lui accable la vigueur & le courage. Il y a d'autres Chevaux qui, après avoir été trop longtemps dans l'écurie, la première fois qu'ils sortent, tout leur fait peur & les met en alarme ; mais cette manie, quand elle ne vient point d'autre cause, dure peu, si on ne les bat point, & si on leur fait connaître avec patience ce qui leur fait peur.

Le Cheval vicieux est celui qui, à force de coups, est devenu malin au point de mordre, de ruer, & de haïr l'homme ; ces défauts arrivent aux Chevaux colères & vindicatifs, qui ont été battus mal-à-propos : car l'ignorance & la mauvaise humeur de certains Cavaliers fait plus de Chevaux vicieux que la nature.

Le Cheval rétif, est celui qui retient ses forces par pure malice, & qui ne veut obéir à aucune aide, soit pour avancer, pour reculer ou pour tourner. Les uns sont devenus rétifs, pour avoir été trop battus et contraints, & les autres pour avoir été trop respectés par un Cavalier qui les aura redoutés. Les Chevaux chatouilleux, qui retiennent leurs forces, sont sujets à ce dernier défaut.

Le Cheval ramingue, est celui qui se défend contre les éperons, qui y résiste, qui s'y attache, & qui rue dans une place, qui recule ou se cabre, au lieu d'obéir aux aides, & d'aller de l'avant. Lorsqu'un Cheval résiste par poltronnerie, c'est un indice de carogne, & quoiqu'il fasse de grands & de furieux sauts, c'est plutôt malice que force.

Le Cheval entier, est celui qui refuse de tourner, plutôt par ignorance et faute de souplesse, que par malice. Il y a des Chevaux qui deviennent entiers à une main, quoiqu'ils y aient d'abord paru souples & obéissants, parce qu'on aura voulu trop tôt les assujettir, & passer trop vite d'une leçon à l'autre. Un accident, qui vient à la vue ou à quelque autre partie du corps, peut aussi rendre un Cheval entier à une main, & même rétif. Le défaut d'être entier, est différent de celui d'être rétif, en ce que le Cheval rétif, par malice ne veut point tourner, quoiqu'il le sache faire, & l'entier ne tourne point, parce qu'il ne le peut, soit par raideur ou par ignorance.

Quand les défauts que nous venons de définir, viennent de manque de cœur & par faiblesse, la nature de Cheval étant alors défectueuse, et le fond n'en étant pas bon, il est difficile d'y suppléer par l'Art.

L'origine de la plupart des défenses de Chevaux, ne vient pas toujours de la nature ; on leur demande souvent des choses dont ils ne sont pas capables, en les voulant trop presser & les rendre trop savants ; cette grande contrainte leur fait haïr l'exercice, leur foule & leur fatigue les tendons & les nerfs, dont les ressorts font la souplesse, & souvent ils se trouvent ruinés, quand on croit les avoir dressés : alors n'ayant plus le force de se défendre, ils obéissent, mais de mauvaise grâce, & sans aucune ressource.

Une autre raison fait encore naître ces défauts : on les monte trop jeunes, & comme le travail qu'on leur demande est au-dessus de leur force, & qu'ils ne sont pas encore formés, pour résister à la sujétion qu'ils doivent souffrir avant d'être dressés, on leur force les reins, on leur affaiblit les jarrets, & on les gâte pour toujours. Le véritable âge pour dresser un Cheval est, six, sept ou huit ans suivant le climat où il est né.

La rebellion & l'indocilité, qui sont si naturelles, surtout aux jeunes Chevaux, viennent encore de qu'ayant contracté l'habitude d'être en liberté dans les haras, & de suivre leurs mères, ils ont peine à se rendre à l'obéissance des premières leçons, & à se soumettre aux volontés de l'Homme qui, profitant de l'empire qu'il prétend avoir sur eux, pousse trop loin sa domination; joint à ce qu'il n'y a point d'Animal, qui se ressouvienne mieux que le Cheval, des premiers châtiments qu'on lui a donnés mal-à-propos.

Il y avait autrefois des personnes préposées pour exercer les Poulains au sortir des haras, lorsqu'ils étaient encore sauvages. On les appelait Cavalcadours de Bardelle : on les choisissait parmi ceux qui avaient le plus de patience, d'industrie, de hardiesse & de diligence ; la perfection de ces qualités n'étant pas si nécessaire pour les Chevaux qui ont déjà été montés ; ils accoutumaient les jeunes Chevaux à souffrir qu'on les approchât dans l'écurie, à se laisser lever les quatre pieds, toucher à la main, à souffrir la bride, la selle, la croupière, les sangles, etc. Ils les assuraient & les rendaient doux au montoir. Ils n'employaient jamais la rigueur ni la force, qu'auparavant ils n'eussent essayé les plus doux moyens dont ils pussent s'aviser ; & par cette ingénieuse patience ils rendaient un jeune Cheval familier & ami de l'Homme ; lui conservaient la vigueur & le courage ; le rendaient sage et obéissant aux premières règles. Si l'on imitait à présent la conduite de ces anciens amateurs, on verrait moins de Chevaux estropiés, ruinés, rebours, raides & vicieux.

3. Des Instruments dont on se sert pour dresser les Chevaux.

Après la bride & la selle, dont nous avons parlé dans les Chapitres VI et VIII de la première Partie, les Instruments qui sont les plus en usage, pour dresser les Chevaux, sont la chambrière, la gaule, les éperons, la longe, la martingale, le poinçon, les lunettes, le troussequeue, les piliers, le caveçon de cuir, le caveçon de fer, le bridon, & le filet.

LA CHAMBRIÈRE, est une bande de cuir de cinq à six pieds de long, attachée au bout d'une canne de jet raisonnablement grosse, & longue d'environ quatre pieds. Cet instrument sert à animer & à réveiller un Cheval qui s'endort ou se retient; & à châtier celui qui refuse d'aller en avant. La chambrière est encore d'une grande utilité pour dresser un Cheval dans les piliers; mais il faut savoir s'en servir à propos. On a banni le fouet des Écoles bien réglées, parce qu'il peut causer des cicatrices aux fesses & au ventre ; on est pourtant quelquefois obligé d'y avoir recours pour rendre sensible un Cheval qui a le cuir dur ; & pour lui faire craindre le châtiment.

LA GAULE est une baguette de bouleau que le Cavalier tient dans la main droite. Elle ne doit être longue que d'environ trois pieds & demi : car si elle l'était davantage ce serait le milieu qui s'appliquerait sur les épaules, & ce doit être la pointe de la gaule. Elle donne beaucoup de grâce à un Cavalier quand il sait bien s'en servir ; & représente aussi de quelle manière il doit tenir son épée à Cheval.

L'ÉPERON est une pièce de fer, composée de trois branches, dont deux entourent le talon ; & au bout du collet, qui est la troisième branche qui sont en dehors, il y a une étoile qu'on appelle Molette, laquelle doit avoir cinq ou six pointes, pour piquer ou pincer le Cheval. Les pointes des molettes ne doivent pas être rondes & émoussées, de peur qu'elles ne causent des cicatrices au ventre : il ne faut pas non plus qu'elles soient trop pointues parce que cela désespérerait un Cheval qui aurait le cuir sensible. Le collet de l'éperon doit être un peu long ; autrement le Cheval n'en sentirait pas si bien l'effet de la molette, & le Cavalier serait obligé de faire un trop grand mouvement de la jambe, pour arriver au ventre.

LA LONGE, est une longue corde, de la grosseur du petit doigt, au bout de laquelle il y a une boucle attachée à un cuir, que l'on passe dans l'anneau du milieu du caveçon de fer. Cet instrument est excellent, pour accoutumer les jeunes Chevaux à trotter sur des cercles avec le secours de la chambrière ; il sert encore pour ceux qui sont rétifs, qui retiennent leurs forces par malice, ou qui sont ramingues, comme nous l'enseignerons en son lieu.

LA MARTINGALE, est une courroie de cuir, attachée par un bout aux sangles sous le ventre du Cheval, & de l'autre à la muserolle, en passant entre les deux jambes de devant, & remontant le long du poitrail. Quelques Cavaliers prétendent avec cet instrument, empêcher un Cheval de battre à la main, & de donner des coups de tête, mais c'est une grande erreur ; car on le confirme dans son vice, au lieu de le corriger ; & l'on devrait bannir cette invention des bonnes Écoles.

LE POINÇON, est un manche de bois, long de sept à huit pouces, au bout duquel il y a une pointe de fer. On tient un bout du poinçon dans le creux de la main droite, & on appuie la pointe sur la croupe du Cheval, pour lui faire détacher la ruade. Je n'approuve point cet instrument ; car outre la situation contrainte, où est le bras du Cavalier, lorsqu'il appuie le poinçon, il peut y avoir encore deux autres inconvénients, qui sont, ou que la pointe du poinçon étant trop émoussée, il ne fait point d'effet ; ou lorsqu'elle est trop pointue elle déchire & ensanglante la croupe & y fait de longues estafilades. Je préfère l'invention de M. de la Broue, qui est une espèce de col d'éperon creusé avec une molette : on attache cet éperon à un bout de gaule long d'environ deux pieds, de sorte qu'on s'en sert comme de la gaule sous main, & alors le Cavalier aide son Cheval avec plus de grâce & de facilité, & ne court pas le risque d'ensanglanter la croupe.

LES LUNETTES, sont deux espèces de petits chapeaux de cuir dont on se sert pour mettre sur les yeux d'un Cheval qui ne veut point se laisser monter, qui veut mordre le Cavalier qui l'approche, ou le frapper des pieds de devant.

LE TROUSSEQUEUE, est un instrument de cuir, long d'un grand pied, dont on se sert pour envelopper la queue d'un sauteur. Cet instrument se ferme par le moyen de plusieurs petits crochets, dans lesquels on entrelace une courroie. Il est attaché près du culeron de la croupière par deux petits contre-sanglots. Il y a au bas du troussequeue deux longes de cuir, qui passent le long des cuisses & des flancs du Cheval, & qui aboutissent aux contre-sanglots, pour tenir la queue en état. Le troussequeue fait paraître un Cheval plus large de croupe, lui donne plus de grâce lorsqu'il saute, & empêche aussi la queue de donner dans les yeux du Cavalier.

LES PILIERS, sont deux pièces de bois rondes, ayant chacune une tête, plantées dans le manège, à cinq pieds l'une de l'autre. Ils doivent avoir six pieds hors de terre. On fait à chaque pilier des trous de distance en distance pour les Chevaux de différentes hauteurs ; ou bien on y met des anneaux de fer, pour passer & attacher les cordes du caveçon. L'usage des piliers, est d'accoutumer un Cheval à craindre le châtiment de la chambrière, de l'animer, de lui apprendre à piaffer & à lever le devant. On se sert aussi communément des piliers dans les Académies pour y mettre les Chevaux destinés à sauter.

LE CAVEÇON DE CUIR, est une espèce de têtière faite de gros cuir plat, qui se met à la tête d'un Cheval, avec deux longes de corde aux deux côtés pour l'attacher dans les piliers. Il faut qu'un caveçon soit rembourré au haut de la têtière, de peur de blesser le Cheval au-dessus de la tête près des oreilles ; on le rembourre aussi à l'endroit de la muserolle, qui porte au-dessus du nez, de peur de lui écorcher cette partie lorsqu'il donne dans les cordes.

LE CAVEÇON DE FER, est une bande de fer tournée en arc, garnie de trois anneaux, montée de têtière & sous-gorge. Il y en a de tors, de mordants et de plats. Les caveçons plats sont les meilleurs ; car les mordants, qui sont creusés dans le milieu & dentelés par les côtés, écorchent le nez du Cheval, à moins qu'on ne les fasse armer de cuir. Le caveçon doit être placé un doigt plus haut que l'œil de la branche de la bride, afin qu'il n'empêche pas l'action du mors ni l'effet de la gourmette.

M. de la Broue, & après lui, M. le Duc de Newcastle, attribuent au caveçon de si grands avantages que je me suis cru obligé de rapporter ici ce qu'ils en ont dit l'un & l'autre.

M. de la Broue dit : «que le caveçon a été inventé pour retenir, relever, rendre léger, apprendre à tourner, & à parer, assurer la tête & la croupe sans offenser la bouche ni la barbe, & aussi pour soulager les épaules, les jambes, & les pieds de devant, & pour remédier aux fautes que font les Chevaux dressés qui se dérangent à l'École, parce que la partie intérieure de la bouche où se fait le principal appui de la bride est plus sensible que ne l'est l'endroit du nez où se place le caveçon, & en ôtant le caveçon, le Cheval est plus attentif aux effets de la bride, & par conséquent plus léger. »

Voici le sentiment de M. le Duc de Newcastle. «Le caveçon est pour retenir, relever, rendre léger, apprendre à tourner, arrêter, assouplir le col, assurer la bouche, placer la tête, la croupe, conserver la bouche saine & entière, les barres & la place de la gourmette, plier les épaules, les rendre souples de même que ses bras, ses jambes, plier le col & le rendre souple. Un Cheval ira mieux ensuite ayant quitté le caveçon, & aura de l'attention à tous les mouvements de la main. Il ne faut pas tout faire avec le caveçon, mais il faut que la main de la bride agisse avant le caveçon, qui n'est qu'une aide pour la bride.

«La longe de dedans du caveçon, attachée au pommeau de la selle, donne un beau pli au Cheval, l'assujettit au véritable appui de la main, & le rend ferme sur les hanches, surtout au Cheval qui pèse ou qui tire à la main, parce qu'il l'empêche d'appuyer sur le mors.

«Le caveçon appuyant partout également sur la moitié du nez, on a plus de prise pour donner un plus grand pli & pour faire tourner le Cheval, ce qui agit aussi puissamment sur les épaules.

Un Cheval dressé sans caveçon, ne sera jamais dans cet agréable appui que doivent avoir les braves Chevaux, qui est d'être égal, ferme & léger.

«Les branches de la bride sont plus lentes à faire leur effet, & sont si basses qu'il ne reste pas assez d'espace pour tirer comme avec le caveçon. La bride peut à grand peine tirer le bout du nez.

«Le caveçon & la bride sont fort différents dans leurs effets, par la différence qu'il y a de la bouche au nez. Si vous tirez le caveçon en haut, les ongles tournés en avant, cela hausse la tête du Cheval, & si vous tirez la bride, les ongles en haut, cela fait baisser seulement le nez du Cheval en bas, & encore plus, si vous tenez la main basse de la bride.

«En travaillant avec la bride seule, on se peut facilement tromper, à moins que d'être bien savant dans les différents effets des divers mouvements de la main de la bride ; ainsi il faut se vouloir aveugler soi-même si on ne veut pas prendre un chemin si court & si assuré, comme est celui du caveçon lié au pommeau & secondé de la bride.»

Après le jugement que portent ces deux grands Maîtres sur les avantages & les effets du caveçon, il y aurait de la témérité à ne pas suivre une décision si respectable. La seule remarque que je trouve à propos de faire, c'est que je crois le caveçon très-excellent entre les mains d'un Homme de Cheval qui sait bien d'en servir ; mais je crois en même temps, qu'il est dangereux de le donner aux Écoliers, parce que l'expérience nous fait voir que ceux qui ont été élevés dans les Écoles, où on se sert de cet instrument, ont pour la plupart la main rude & déplacée, ce qui est occasionné par la force majeure qu'on emploie pour le faire agir.

LE BRIDON, est une embouchure montée d'une têtière sans muserolle ; cette embouchure a peu de fer, & est brisée dans le milieu : quelques-uns le sont en plusieurs endroits. Le bridon n'est autre qu'une imitation des premières brides, dont on s'est servi pour monter les Chevaux, qui n'étaient autre chose qu'une simple embouchure sans branches & sans gourmette.

Il y a deux sortes de bridons : les uns dont l'embouchure est très-mince, se mettent avec la bride, & servent à soulager la bouche d'un Cheval ; & en cas d'accident, lorsque les rênes viennent à se rompre, par exemple, ou à être coupées dans un combat, on a alors recours au bridon.

L'autre espèce de bridon, est celui dont on se sert pour acheminer les jeunes Chevaux. L'embouchure en est plus grosse ; & aux deux extrémités il y a deux petites barres de fer rondes pour empêcher qu'il ne sorte de la bouche d'un côté ou de l'autre, en tirant une des deux rênes.

Voici de quelle façon M. le Duc de Newcastle s'explique sur les effets du bridon.

«Le bridon n'appuie que sur les lèvres, & peu sur les barres, & la barbe se conserve en son entier. Il est bon pour les Chevaux qui pèsent à la main, portent bas & s'arment, pour les relever. On peut gourmander un Cheval en tirant les deux rênes du bridon l'une après l'autre, fortement, et plusieurs fois de suite, comme si on voulait lui scier la bouche. Il est encore bon pour acheminer un jeune Cheval, lui apprendre à tourner au pas, au trot, l'arrêter ; la sujétion de la bride lui peut donner occasion de se défendre, & le bridon le dispose à mieux obéir à la bride. Il faut avoir les ongles en dessus, avancer les mains, & avoir les bras en avant. Il n'est pas bon pour ceux qui n'ont point d'appui, qui battent à la main, car, comme il ôte l'appui à ceux qui en ont trop, il gâte ceux qui n'en ont point.»

LE FILET, est une espèce de mors, monté d'une têtière sans muserolle, avec une gourmette, & des branches sans chaînettes. Ce mors sert aux Chevaux de carrosse ou autres, lorsqu'on les étrille, ou qu'on les mène à la rivière.

Les Anglais, plus attentifs qu'aucune autre nation, pour ce qui regarde l'équipage d'un Cheval, ont inventé un filet d'une structure assez singulière ; il sert en même temps de bridon & de bride, par le moyen de deux paires de rênes, l'une desquelles est attachées au bas des branches, comme aux brides ordinaires. Les autres rênes sont attachées à deux arcs, qui sont aux extrémités de l'embouchure ; & en se servant de ces deux dernières rênes, la gourmette alors n'agissant plus, l'embouchure agit comme celle du bridon, & produit le même effet.

4 Des termes de l'Art.

Rien ne contribue davantage à la connaissance d'un Art ou d'une Science, que l'intelligence des termes qui lui sont propres. L'Art de monter à Cheval en a de particuliers ; c'est pourquoi j'ai cherché à en donner des définitions claires & précises.

MANÈGE ; ce mot a deux significations : savoir, le lieu où l'on exerce les Chevaux ; & l'exercice qu'on leur fait faire.

À l'égard des manèges où l'on exerce les Chevaux, il y en a de couverts & de découverts. Un beau manège couvert doit être large de 35 à 36 pieds, & long de trois fois sa largeur.

Un manège découvert peut être plus large & plus long ; suivant le terrain qu'on a à y employer ; on l'entoure de barrières.

Le manège regardé comme l'exercice que l'on fait faire au Cheval, est la manière de le dresser sur toutes sortes d'airs.

AIR, est la belle attitude que doit avoir un Cheval dans ses différentes allures ; c'est aussi la cadence propre à chaque mouvement qu'il fait dans chaque allure, soit naturelle, ou artificielle, comme nous l'expliquerons dans la suite.

CHANGER DE MAIN, est l'action que fait un Cheval avec les jambes lorsqu'il change de pied, soit pour galoper sur le pied droit ou sur le pied gauche. Ce terme vient des anciens Écuyers, qui nommaient les parties du corps du Cheval, par préférence aux autres animaux, comme celles de l'Homme ; & de même qu'on dit encore aujourd'hui la bouche d'un Cheval, le menton & le bras, ils appelaient aussi le pied d'un Cheval, la main ; ainsi changer de main c'est changer de pied. Selon l'usage, on entend aussi par changement de main, la ligne ou la piste que décrit un Cheval, en traversant le manège avant de faire ce changement de pied.

PISTE, est le chemin que décrivent les quatre pieds d'un Cheval en marchant. Un Cheval va d'une piste ou de deux pistes. Il va d'une piste, lorsqu'il marche droit sur une même ligne, & que les pieds de derrière suivent & marchent sur la ligne de ceux de devant. Il va de deux pistes, lorsqu'il va de côté ; & alors les pieds de derrière décrivent une autre ligne que ceux de devant : c'est ce qu'on appelle, Fuir les talons.

AIDES, sont les moyens dont le Cavalier se sert pour faire aller son Cheval, & le secourir ; ces moyens consistent dans différents mouvements de la main & des jambes.

AIDES FINES. On dit d'un Homme de Cheval, qu'il a des aides fines, lorsque ses mouvements sont peu apparents, & qu'en gardant un juste équilibre, il aide son Cheval avec science, avec aisance, & avec grâce, ce qu'on appelle aussi, Aides secrètes. On dit encore qu'un Cheval a les aides fines, lorsqu'il obéit promptement, & avec facilité au moindre mouvement de la main & des jambes du Cavalier.

RENDRE LA MAIN, c'est le mouvement que l'on fait en baissant la main de la bride, soit pour adoucir, ou pour faire quitter le sentiment du mors sur les barres. Il faut remarquer, qu'on entend toujours par la main de la bride, la main gauche du Cavalier ; car, quoiqu'on se serve quelquefois de la main droite pour tirer la rêne droite, ce n'est alors qu'une aide à la main gauche, qui reste toujours la main de la bride.

S'ATTACHER À LA MAIN, c'est lorsqu'un Cavalier a la main rude & qu'il la tient plus ferme qu'il ne doit : c'est le plus grand défaut qu'on puisse avoir à cheval ; car cette dureté de main, gâte la bouche d'un Cheval, l'accoutume à se cabrer, & le met en danger de se renverser ; accident bien funeste, & dont les suites sont quelquefois la mort du Cavalier, comme il est arrivé plus d'une fois.

TIRER À LA MAIN. Ce défaut regarde le Cheval, c'est lorsque la bouche se raidit contre la main du Cavalier, en tirant & en levant le nez, par ignorance ou par désobéissance.

PESER À LA MAIN ; c'est lorsque la tête du Cheval s'appuie sur le mors et s'appesantit sur la main de la bride, en sorte qu'on est obligé de porter, pour ainsi dire, la tête du Cheval.

BATTRE À LA MAIN, c'est le défaut des Chevaux qui n'ont pas la tête assurée ni la bouche faite, & qui, pour éviter la sujétion du mors, secouent la bride, & donnent des coups de tête.

FAIRE LES FORCES ; c'est un mouvement très-désagréable que font certains Chevaux, en ouvrant la bouche, & en portant continuellement la mâchoire inférieure de gauche à droite, & de droite à gauche ; c'est le défaut des bouches faibles.

APPUI ; est le sentiment que produit l'action de la Bride dans la main du Cavalier ; & réciproquement l'action que la main du Cavalier opère sur les barres du Cheval. Il y a des Chevaux qui n'ont point d'appui, d'autres qui en ont trop, & d'autres qui ont l'appui à pleine main. Ceux qui n'ont point d'appui sont ceux qui craignent le mors, & ne peuvent souffrir qu'il appuie sur les barres, ce qui les fait battre à la main, & donner des coups de tête. Les Chevaux qui ont trop d'appui, sont ceux qui s'appesantissent sur la main. L'appui à pleine main, qui fait la meilleure bouche, c'est lorsque le Cheval, sans peser ni battre à la main, a l'appui ferme, léger, & tempéré ; ces trois qualités sont celles de la bonne bouche d'un Cheval, lesquelles répondent à celles de la main du Cavalier qui doit être légère, douce, & ferme.

PARADE, est la manière d'arrêter un Cheval à la fin de sa reprise, ainsi PARER, signifie arrêter.

REPRISE, est une leçon réitérée qu'on donne à un Cheval, & dans l'intervalle d'une reprise à l'autre, on lui laisse reprendre haleine.

MARQUER UN DEMI-ARRÊT ; c'est lorsqu'on retient la main de la bride près de soi, pour retenir & soutenir le devant d'un Cheval qui s'appuie sur le mors, ou lorsqu'on veut le ramener ou le rassembler.

RAMENER ; c'est faire baisser la tête & le nez à un Cheval, qui tire à la main & porte le nez haut.

RASSEMBLER un Cheval, ou le tenir ensemble ; c'est le raccourcir de son allure, ou dans son air, pour le mettre sur les hanches ; ce qui se fait en retenant doucement le devant avec la main de la bride, & chassant les hanches sous lui avec le gras des jambes pour le préparer à le mettre dans la main & dans les talons.

ETRE DANS LA MAIN ET DANS LES TALONS ; c'est la qualité que l'on donne à un Cheval parfaitement dressé, qui suit la main, fuit les jambes & les éperons avec liberté & obéissance, soit en avant ou en arrière, dans une place, de côté sur un talon & sur l'autre, & qui souffre les jambes et même les éperons sans se traverser, ni déplacer la tête. Si l'on trouvait aujourd'hui un pareil Cheval, on pourrait, sans témérité, lui donner le nom de Phénix.

RENFERMER ; c'est tenir beaucoup ensemble un Cheval, qui est assez avancé pour commencer à le mettre dans la main & dans les talons.

BIEN MIS ; c'est-à-dire bien dressé, bien mis dans la main & dans les talons.

SE TRAVERSER ; c'est lorsque la croupe d'un Cheval se dérange de la piste qu'elle doit décrire, soit en fuyant les talons, ou en allant par le droit.

S'ENTABLER ; c'est lorsque le Cheval, allant de côté, s'accule, au lieu d'aller en avant, & que les hanches marchent avant les épaules. Ce terme n'est plus guère en usage, on se sert, d'acculer.

HARPER ; c'est l'allure des Chevaux qui ont des éparvins secs, dont le mouvement se fait de la hanche avec précipitation au lieu de plier le jarret.

PIAFFER ; c'est l'action que fait le Cheval lorsqu'il passage dans une même place, en pliant les bras, & en levant les jambes avec grâce, sans se traverser, ni avancer, ni reculer, & en demeurant dans le respect pour la main & pour les jambes du Cavalier.

TRÉPIGNER ; c'est le défaut de ceux qui piaffent mal, qui au lieu de soutenir la jambe haut, précipitent leur mouvement & battent la poudre. Les Chevaux qui ont trop d'ardeur sont, sujets à ce défaut.

DOUBLER. Il y a doubler large, & doubler étroit. Le doubler large est lorsqu'on tourne un Cheval par le milieu du manège sans changer de main, en partageant le terrain également. Et le doubler étroit, est lorsqu'on le tourne dans un carré étroit aux quatre coins du manège.

FALQUER, FALCADE, est l'action que fait le Cheval en coulant les hanches basses & trides à l'arrêt du galop.

TRIDE, ce mot est de M. de la Broue : il s'en est servi pour exprimer les mouvements prompts, courts & unis, que font les Chevaux avec les hanches, en les rabattant promptement sous eux. On dit d'un Cheval, qu'il a la carrière tride, c'est-à-dire, qu'il galope court & vite des hanches.

FERMER, SERRER une demi-volte ; cela s'entend de la fin d'un changement de main, ou d'une demi-volte, où un Cheval doit arriver également de côté, les quatre jambes ensemble, sur la ligne de la muraille, pour reprendre à l'autre main.

TRAVAILLER DE LA MAIN À LA MAIN ; c'est lorsqu'on tourne un Cheval d'une piste, avec la main seule, & peu d'aide des jambes : ce qui est bon pour le manège de guerre.

SECOURIR ; c'est aider un Cheval avec les jarrets, ou avec les gras des jambes, lorsqu'il veut demeurer, ou se ralentir dans son allure.

CHEVALER ; c'est lorsque le Cheval, en allant de côté, en fuyant les talons, les jambes de dehors passent par dessus celles de dedans.

DEDANS & DEHORS ; c'est une façon de parler, dont on se sert quelquefois, au lieu de droit & de gauche, pour exprimer les aides que l'on doit donner avec les rênes de la bride, avec les jambes & les talons de Cavalier, & aussi les mouvements des jambes du Cheval selon la main où il va. Pour mieux entendre ceci, il faut savoir qu'autrefois les Écuyers travaillaient presque toujours leurs Chevaux sur des cercles, & le centre autour duquel ils tournaient, déterminait la main où ils allaient ; en sorte qu'un tournant un Cheval à droite sur un cercle, la rêne de la bride, la jambe & le talon du Cavalier, & les jambes du Cheval qui étaient du côté du centre s'appelaient la rêne de dedans, la jambe de dedans, le talon de dedans, ce qui est de même de dire, rêne droite, jambe droite, &c. Pour lors la rêne de dehors, la jambe de dehors sont la rêne gauche, la jambe gauche ; & de même en tournant un Cheval à gauche sur un cercle, la rêne & la jambe qui sont du côté du centre, s'appellent la rêne & la jambe de dedans, & sont la rêne gauche & la jambe gauche ; et par conséquent la rêne de dehors, & la jambe de dehors, sont la rêne droite & la jambe droite. Aujourd'hui que les manèges sont carrés, et bornés de murailles ou de barrières, il est aisé de comprendre, qu'on entend par la rêne de dehors, la jambe de dehors, celles qui sont du côté du mur. Si le mur est à la gauche du Cavalier, cela s'appelle aller à main droite, alors la rêne & la jambe du dehors sont du côté du mur, ce sont la rêne gauche & la jambe gauche, & celles de dedans sont du côté du manège. Si la muraille est à droite du Cavalier, cela se dit travailler à main gauche ; la rêne droite & la jambe droite, sont la rêne & la jambe de dehors, & par conséquent la rêne gauche & la jambe gauche, sont celles de dedans. J'ai été obligé de donner une explication un peu ample de ces termes, parce que plusieurs personnes les confondent ; mais pour parler plus intelligiblement, on dit droit & gauche, qui est plus simple, tant pour exprimer les jambes du Cavalier, que celles du Cheval, & aussi les rênes de la bride.

À l'égard des termes qui regardent les airs du manège, on trouvera l'explication & la définition dans le chapitre VI où il est traité des mouvements artificiels.

5 Des différents mouvements des jambes des Chevaux, selon la différence de leurs allures.

La plupart de ceux qui montent à Cheval n'ont qu'une idée confuse des mouvements des jambes de cet animal dans ses différentes allures ; cependant, sans une connaissance aussi essentielle à un Cavalier, il est impossible qu'il puisse faire agir des ressorts, dont il ne connaît pas la mécanique.

Les Chevaux ont deux sortes d'allures ; savoir, les allures naturelles, & les allures artificielles.

Dans les allures naturelles, il faut distinguer les allures parfaites, qui sont le pas, le trot, & le galop ; & les allures défectueuses, qui sont, l'amble, l'entre-pas ou traquenard, & l'aubin.

Les allures naturelles & parfaites sont celles qui viennent purement de la nature, sans avoir été perfectionnées par l'Art.

Les allures naturelles & défectueuses, sont celles qui proviennent d'une nature faible ou ruinée.

Les allures artificielles sont celles qu'un habile Écuyer sait donner aux Chevaux qu'il dresse, pour les former dans les différents airs, dont ils sont capables, & qui doivent se pratiquer dans les manèges bien réglés.

ARTICLE PREMIER

Des allures naturelles.

Le pas.

Le Pas, est l'action la moins élevée, la plus lente et la plus douce de toutes les allures d'un Cheval. Dans le mouvement que fait un Cheval lorsqu'il va le Pas, il lève les deux jambes qui sont opposées & traversées ; l'une devant, l'autre derrière. Quand, par exemple, la jambe droite de devant est en l'air & se porte en avant, la gauche de derrière se lève immédiatement après & suit le même mouvement que celle de devant, & ainsi des deux autres jambes ; en sorte que dans le pas, il y a quatre mouvements : le premier est celui de la jambe droite de devant, qui est suivie de la jambe gauche de derrière, qui fait le second mouvement; le troisième est celui de la jambe gauche de devant, qui est suivie de la jambe droite de derrière, & ainsi alternativement.

Le trot.

L'action que fait le Cheval qui va au trot, est de lever en même temps les deux jambes qui sont opposées & traversées : savoir, la jambe droite de devant avec la jambe gauche de derrière, et ensuite la jambe gauche de devant avec la droite de derrière. La différence qu'il y a entre le pas & le trot c'est que dans le trot, le mouvement est plus violent, plus diligent & plus relevé, ce qui rend cette dernière allure beaucoup plus rude que celle du pas, qui est lente & près de terre. Il y a encore cette différence : c'est que, quoique les jambes du Cheval qui va le pas, soient opposées et traversées, comme elles le sont au trot, la position des pieds se fait en quatre temps au pas, & qu'au trot il n'y en a que deux, parce qu'il lève en même temps les deux jambes opposées, & les pose aussi à terre en même temps, comme nous venons de l'expliquer.

Le galop.

Le galop est l'action que fait le Cheval en courant. C'est une espèce de saut en avant, car les jambes de devant ne sont point encore à terre, lorsque celles de derrière se lèvent ; de façon qu'il y a un instant imperceptible où les quatre jambes sont en l'air. Dans le galop, il y a deux principaux mouvements, l'un pour la main droite, qu'on appelle, galoper sur le pied droit; & l'autre pour la main gauche, qui est galoper sur le pied gauche. Il faut que dans chacune de ces différences, la jambe de dedans de devant avance & entame le chemin, & que celle de derrière du même côté, suive & avance aussi, ce qui se fait dans l'ordre suivant. Si le Cheval galope à droite, quand les deux jambes de devant sont levées, la droite est mise à terre plus avant que la gauche, & la droite de derrière chasse & suit le mouvement de celle de devant ; elle est aussi posée à terre plus avant que la gauche de derrière. Dans le galop à main gauche, c'est le pied gauche de devant qui mène & entame le chemin ; celui de derrière du même côté suit, & est aussi plus avancé que le pied droit de derrière. Cette position de pieds se fait dans l'ordre suivant.

Lorsque le Cheval galope à droite, après avoir rassemblé les forces de ses hanches pour chasser les parties de devant ; le pied gauche de derrière se pose à terre le premier, le pied droit de derrière fait ensuite la seconde position, & est placé plus avant que le pied gauche de derrière, & dans le même instant le pied gauche de devant se pose aussi à terre ; en sorte que dans la position de ces deux pieds, qui sont croisés & opposés, comme au trot, il n'y a ordinairement qu'un temps qui soit sensible à la vue et à l'oreille ; & enfin le pied droit de devant, qui est avancé plus que le pied gauche de devant, & sur la ligne du pied droit de derrière, marque le troisième & dernier temps. Ces mouvements se répètent à chaque temps de galop, & se continuent alternativement.

À main gauche, la position des pieds se fait différemment ; c'est le pied droit de derrière qui marque le premier temps ; le pied gauche de derrière & le pied droit de devant, se lèvent ensuite & se posent ensemble à terre, croisés comme au trot, & font le second temps ; & enfin, le pied gauche de devant, qui est plus avancé que le pied droit de devant, & sur ligne du pied gauche de derrière, marque la troisième & dernière cadence.

Mais lorsqu'un Cheval a les ressorts liants & le mouvement de hanche tride, il marque alors quatre temps, qui se font dans l'ordre suivant. Lorsqu'il galope à droite, par exemple, le pied gauche de derrière se pose à terre le premier, le pied droit de derrière fait la seconde position, le pied gauche de devant, immédiatement après celui-ci, marque le troisième temps, & enfin, le pied droit de devant, qui est le plus avancé de tous, fait la quatrième & dernière position, ce qui fait alors, 1.2.3.& 4. & forme la vraie cadence du beau galop, qui doit être diligent des hanches, & raccourci du devant, comme nous l'expliquerons dans la suite.

Quand il arrive qu'un Cheval n'observe pas en galopant de même ordre aux deux mains dans la position de ses pieds, comme il se doit, & comme nous venons de l'expliquer, il est faux ou désuni.

Un Cheval galope faux ou sur le mauvais pied, lors qu'allant à une main, au lieu d'entamer le chemin avec la jambe de dedans, comme il le doit, c'est la jambe de dehors qui la plus avancée ; c'est-à-dire, si le Cheval, en galopant à main droite, entame le chemin avec la jambe gauche de devant, suivie de la gauche de derrière, alors il est faux, il galope faux, sur le mauvais pied ; & si en galopant à main gauche, il avance et entame le chemin avec la jambe droite de devant, & celle de derrière, au lieu de la gauche, il est de même faux & sur le mauvais pied. La raison de cette fausseté dans cette allure vient de ce que les deux jambes, celle de devant & celle de derrière, qui sont au centre du terrain autour duquel on galope, doivent nécessairement être avancées afin de soutenir le poids du Cheval & du Cavalier ; car autrement le Cheval serait en danger de tomber en tournant, ce qui arrive quelquefois, & ne laisse pas d'être dangereux. On court aussi le même risque quand un Cheval galope désuni.

Un Cheval se désunit de deux manières, tantôt du devant & tantôt du derrière ; mais plus ordinairement du derrière que du devant. Il se désunit du devant, lorsqu'en galopant dans l'ordre qu'il doit avec les jambes de derrière à la main où il va, c'est la jambe de dehors du devant qui entame le chemin, au lieu de celle de dedans. Par exemple, lorsqu'un Cheval galope à main droite, & que la jambe gauche de devant est la plus avancée au lieu de la droite, il est désuni du devant. Et de même, si en galopant à main gauche, il avance la jambe droite de devant, au lieu de la gauche, il est encore désuni du devant. Il en est de même pour le derrière : si c'est la jambe de dehors de derrière qui entame le chemin, au lieu de celle de dedans, il est désuni du derrière. Pour comprendre encore mieux ceci ; il faut faire attention que lorsqu'un Cheval, en galopant à droite, a les jambes de devant placées comme il devrait les avoir pour galoper à gauche, il est désuni du devant ; & lorsque les jambes de derrière sont dans la même position, où il devrait les avoir à gauche, lorsqu'il galope à droite, il est désuni du derrière. Il en est de même pour la main gauche.

Il faut remarquer que pour les Chevaux de chasse & de campagne, on entend toujours, surtout en France, par galoper sur le bon pied, galoper sur le pied droit. Il y a pourtant quelques Hommes de Cheval qui font changer de pied à leurs Chevaux, afin de reposer la jambe gauche, qui est celle qui souffre le plus, parce qu'elle porte tout le poids, au lieu que la droite, entamant le chemin, a plus de liberté, & ne se fatigue pas tant.

ARTICLE II

Des Allures défectueuses.

L'amble.

L'Amble est une allure plus basse que celle du pas, mais infiniment plus allongée, dans laquelle le Cheval n'a que deux mouvements, un pour chaque côté ; de façon que les deux jambes du même côté, celle de devant & celle de derrière se lèvent en un même temps, & se portent en avant ensemble, & dans le temps qu'elles se posent à terre, aussi ensemble, elles sont suivies de celles de l'autre côté, qui font le même mouvement, lequel se continue alternativement.

Pour qu'un Cheval aille bien l'amble, il doit marcher les hanches basses & pliées, & poser les pieds de derrière, un grand pied au-delà de l'endroit où il a posé ceux de devant ; & c'est ce qui fait qu'un Cheval d'amble fait tant de chemin. Ceux qui vont les hanches hautes & raides n'avancent pas tant & fatiguent beaucoup plus un Cavalier. Les Chevaux d'amble ne sont bons que dans un terrain doux & uni, car dans la boue & dans un terrain raboteux, un Cheval ne peut pas soutenir longtemps cette allure. L'on voit à cause de cela, plus de Chevaux de cette espèce en Angleterre qu'en France, parce que le terrain y est plus doux & plus uni ; mais généralement parlant, un Cheval d'amble ne peut pas durer longtemps, et c'est un signe de faiblesse dans la plupart de ceux qui amblent ; les jeunes Poulains même prennent cette allure dans la prairie, jusqu'à ce qu'ils aient assez de force pour trotter & galoper. Il y a beaucoup de braves Chevaux, qui après avoir rendu de longs services, commencent à ambler, parce que leurs ressorts venant à s'user, ils ne peuvent plus soutenir les autres allures qui leur étaient auparavant ordinaires et naturelles.

L'Entre-pas ou Traquenard.

L'Entre-pas, qu'on appelle aussi Traquenard, est un train rompu, qui a quelque chose de l'amble. Les Chevaux qui n'ont point de reins & qu'on presse sur les épaules, ou qui commencent à avoir les jambes usées & ruinées prennent ordinairement cette allure. Les Chevaux de charge, par exemple, qui sont obligés de faire diligence, après avoir trotté pendant quelques années le fardeau sur le corps ; lorsqu'ils n'ont plus assez de force pour soutenir l'action du trot, prennent enfin une espèce de tricotement de jambes, vite & suivi, qui a l'air d'un amble rompu, & qui est, à proprement parler, ce qu'on appelle Entre-pas ou Traquenard.

L'Aubin.

On appelle Aubin, une allure dans laquelle le Cheval, en galopant avec les jambes de devant, trotte ou va l'amble avec le train de derrière. Cette allure qui est très vilaine, est le train des Chevaux qui ont les hanches faibles & le derrière ruiné, & qui sont extrêmement fatigués à la fin d'une longue course. La plupart des Chevaux de poste aubinent au lieu de galoper franchement ; les poulains qui n'ont point encore assez de force dans les hanches pour chasser & accompagner le devant, et qu'on veut trop tôt presser au galop, prennent aussi cette allure, de même que les Chevaux de chasse, lorsqu'ils ont les jambes de derrière usées.

ARTICLE III

Des Allures Artificielles.

Les mouvements artificiels sont tirés des naturels, & prennent différents noms suivant la cadence & la posture que l'on donne aux Chevaux dressés au manège qui leur est propre.

Il y a, selon l'usage ordinaire, deux sortes de manèges ; le manège de Guerre & celui de Carrière, ou d'École.

On entend par manège de guerre, l'exercice d'un Cheval sage, aisé & obéissant aux deux mains, qui part de vitesse, s'arrête & tourne facilement sur les hanches, qui est accoutumé au feu, aux tambours, aux étendards ; & qui n'a peur de rien.

Par manège de Carrière ou d'École, on doit entendre celui qui renferme tous les airs inventés par ceux qui ont excellé dans cet Art, & qui sont ou doivent être en usage dans les Académies bien réglées.

Parmi ces différents airs, il y en a de bas & de relevés.

Les airs qu'on appelle Bas, sont ceux des Chevaux qui manient près de terre.

Les airs relevés sont ceux des Chevaux, dont les mouvements sont détachés de terre.

AIRS BAS OU PRÈS DE TERRE

Les Airs de Chevaux qui manient près de terre, sont, le passage, le piaffer, la galopade, le changement de main, la volte, la demi-volte, la passade, la pirouette, & le terre-à-terre.

Il faut remarquer que la plupart des termes de manège dérivent de l'Italien ; parce que les Italiens sont les premiers Inventeurs des règles & principes de cet Art.

Passage.

Le passage, qu'on appelait autrefois, Passège, du mot italien Spasseggio, qui signifie Promenade. C'est un pas ou un trot mesuré & cadencé. Il faut, dans ce mouvement qu'un Cheval tienne plus longtemps ses jambes en l'air, l'une devant et l'autre derrière, croisées & opposées comme au trot ; mais il doit être beaucoup plus raccourci, plus soutenu & plus écouté que le trot ordinaire ; en sorte qu'il n'y ait pas plus d'un pied de distance entre chaque pas, qu'il fait, c'est-à-dire, que la jambe qui est en l'air, se pose environ un pied au delà de celle qui est à terre.

Piaffer.

Lorsqu'un Cheval passage dans une place sans avancer, reculer, ni se traverser, & qu'il lève & plie les bras haut & de bonne grâce dans cette action : on appelle cette démarche Piaffer. Cette allure, qui est très noble, était fort recherchée dans les carrousels & dans les Fêtes à Cheval ; elle est encore fort estimée en Espagne ; les Chevaux de ce pays & les Napolitains y ont beaucoup de disposition.

Galopade.

La galopade ou le galop de manège, est un galop uni, bien ensemble, raccourci du devant & diligent des hanches ; c'est-à-dire qui ne traîne pas le derrière, & qui produise, par l'égalité des ressorts du Cheval, cette belle cadence qui charme autant les Spectateurs, qu'elle plaît au Cavalier.

Changement de main.

Nous avons dit dans le Chapitre précédent, qu'on ne devait pas seulement entendre par changement de main, l'action que fait le Cheval lorsqu'il change de pied ; mais que l'usage voulait aussi qu'on entendît, par cette expression, le chemin que décrit le Cheval, lorsqu'il va d'une muraille à l'autre, en traversant le manège, soit de droite à gauche ou, de gauche à droite. Dans cette dernière espèce, il y a deux choses à observer, qui sont les contre-changements de main, & les changements de main renversés.

Contre-changer de main ; c'est lorsqu'après avoir mené un Cheval jusqu'au milieu du manège, comme si on voulait le changer tout-à-fait, & après l'y avoir placé la tête à l'autre main, on le ramène sur la ligne de la muraille que l'on vient de quitter, pour continuer à la même main, où il était avant que d'avoir changé de main.

Dans le changement de main renversé, la première ligne que décrit le Cheval est, jusqu'au milieu du manège, la même que celle du changement de main ordinaire ; mais en revenant à la muraille qu'on vient de quitter, comme si l'on voulait contre-changer de main, au lieu de le faire, on retourne et on renverse l'épaule du Cheval pour reprendre à l'autre main ; en sorte que si en changeant de main de droite à gauche, dans le contre-changement de main, on se trouve à la même main, qui est la droite; mais dans le changement de main renversé, on se trouve à gauche en arrivant à la muraille, & cela par le renversement d'épaule qu'on a fait.

Les changements de main, les contre-changements, & les changements renversés, se font d'une piste ou de deux pistes, suivant que le Cheval est plus ou moins obéissant à la main & aux talons.

Volte.

Le mot de volte, est une expression Italienne, qui signifie cercle, rond, ou piste circulaire. Il faut remarquer qu'on entend en Italie par volte, le cercle que décrit un Cheval qui va simplement d'une piste, & ce que nous entendons par volte, ils l'appellent Radoppio ; mais en France le mot de volte signifie aller de deux pistes, de côté, le Cheval formant deux cercles parallèles, ou un carré dont les coins sont arrondis.

La demi-volte est la moitié d'une volte, ou une espèce de demi-cercle de deux pistes. On fait les demi-voltes, ou dans la volte même, ou aux deux extrémités d'une ligne droite.

Il y a encore des voltes renversées & les demi-voltes renversées.

Par volte renversée, on entend le chemin que décrit un Cheval qui va de deux pistes, avec la tête & les épaules du côté du centre, & alors les pieds de devant décrivent la ligne la plus près du centre, & ceux de derrière la plus éloignée ; ce qui est l'opposé de la volte ordinaire, où la croupe est du côté du centre de la volte.

La demi-volte renversée, se fait comme le changement de main renversé, excepté que le Cheval doit aller de deux pistes pour la demi-volte.

Passade.

Faire des passades, c'est mener un Cheval sur une même longueur de terrain, en changeant aux deux bouts, de droite à gauche, & de gauche à droite, passant & repassant toujours sur la même ligne.

Il y a des passades au petit galop, & des passades furieuses.

Les passades qui se font au petit galop, sont celles où l'on tient le Cheval rassemblé dans un galop raccourci et écouté, tant sur la ligne droite de la passade que, sur les demi-voltes des deux extrémités de la ligne.

Dans les passades furieuses, on mène le Cheval au petit galop jusqu'au milieu de la ligne droite, & delà on le fait partir à toutes jambes, jusqu'à l'endroit où on le rassemble pour commencer la demi-volte.

Pirouette.

La pirouette est une espèce de volte, qui se fait dans une même place & dans la longueur du Cheval : la croupe reste dans le centre, & la jambe de derrière de dedans, sert comme de pivot autour duquel tournent, tant les deux jambes de devant, que celle de dehors de derrière.

Terre à terre.

M. le Duc de Newcastle a fort bien défini le Terre à terre, un galop en deux temps, qui se fait de deux pistes. Dans cette action le Cheval lève les deux jambes de devant à la fois, & les pose à terre de même ; celles de derrière suivent & accompagnent celles de devant ; ce qui forme une cadence tride & basse, qui est comme une suite de petits sauts fort bas, près de terre, allant toujours en avant & de côté.

Quoique le terre à terre soit mis avec raison au nombre des airs bas, parce qu'il est près de terre ; c'est pourtant cet air qui sert de fondement à tous les airs relevés, parce que généralement tous les sauts se font en deux temps, comme au terre à terre.

AIRS RELEVÉS

On appelle Airs relevés, tous les sauts qui sont plus détachés de terre que le terre à terre. On en compte sept, qui sont, la Pesade, le Mézair, la Courbette, la Croupade, la Ballotade, la Cabriole, & le Pas-&-le Saut.

Pesade.

La pesade est un air dans lequel le Cheval lève le devant haut dans une place sans avancer, tenant les pieds de derrière ferme à terre sans les remuer, en sorte qu'il ne fait point de temps avec les hanches, comme à tous les autres airs. On se sert de cette leçon pour préparer un Cheval à sauter avec plus de liberté, & pour lui gagner le devant.

Mézair.

Mézair, est un terme qui signifie, moitié air ; c'est un saut qui, quoiqu'au nombre des airs relevés, ne l'est pourtant qu'un peu plus que le terre à terre, mais moins écouté & plus avancé que la courbette ; on l'appelle Moitié air, Mézair, parce qu'il est entre l'un et l'autre ; & c'est pour cela que quelques Écuyers l'appellent, Demi-courbette, ce qui exprime assez bien le mouvement que fait un Cheval dans cette action.

Courbette.

La Courbette est un saut, dans lequel le Cheval est plus relevé du devant, plus écouté & plus soutenu que dans le Mézair, & où les hanches rabattent & accompagnent avec une cadence basse & tride, les jambes de devant dans l'instant qu'elles retombent à terre.

Croupade.

La Croupade est un saut plus élevé que la courbette, tant du devant que du derrière, dans lequel le Cheval, étant en l'air, trousse & retire les pieds & les jambes de derrière sous le ventre, et les tient dans une hauteur égale à celle des pieds de devant.

Balotade.

La Balotade est un saut, dans lequel le Cheval ayant les quatre pieds en l'air, & dans une égale hauteur, au lieu de retirer et de trousser ses jambes & ses pieds de derrière sous le ventre, comme dans la croupade, il présente ses fers de derrière comme s'il voulait ruer, sans pourtant détacher la ruade, comme dans la cabriole.

Capriole.

La Capriole, est le plus élevé & le plus parfait de tous les sauts. Lorsque le Cheval est en l'air, & dans une égale hauteur du devant & du derrière, il détache la ruade avec autant de force, que s'il voulait, pour ainsi dire, se séparer de lui-même, en sorte que ses jambes de derrière partent comme un trait. On appelait autrefois cette action, S'éparer, nouer l'aiguillette.

Il faut bien remarquer que ces trois derniers airs de Croupade, de Ballotade, & de Capriole, différents entre eux en ce que le Cheval, dans la croupade, ne montre point les fers de derrière lorsqu'il est au haut de son saut ; qu'au contraire il les retire sous le ventre; que dans la ballotade, il montre les fers & s'offre à ruer, sans pourtant détacher sa ruade; & que dans la cabriole, il détache la ruade aussi vivement qu'il le peut.

Le Pas-&-le Saut.

Cet air se forme en trois temps, dont le premier est un temps de galop raccourci, ou terre à terre, le second une courbette ; le troisième est une capriole ; & ainsi alternativement. Les Chevaux qui ne se sentent pas assez de force pour redoubler à caprioles, prennent d'eux-mêmes cet air ; & les plus vigoureux sauteurs, lorsqu'ils commencent à s'user, prennent aussi cet air, pour se soulager, & pour prendre mieux le temps du saut.

6 De la belle posture de l'Homme de Cheval & de ce qu'il faut observer avant de monter.

La grâce est un si grand ornement pour un Cavalier, & en même temps un si grand acheminement à la science, que tous ceux qui veulent devenir Hommes de Cheval, doivent avant toutes choses, employer le temps nécessaire pour acquérir cette qualité. J'entends par grâce, un air d'aisance & de liberté, qu'il faut conserver dans une posture droite et libre, soit pour se tenir & s'affermir à Cheval, quand il le faut, soit pour se relâcher à propos, en gardant autant qu'on le peut, dans tous les mouvements que fait un Cheval, ce juste équilibre qui dépend du contre-poids du corps bien observé ; & que les mouvements du Cavalier soient si subtils, qu'ils servent plus à embellir son assiette, qu'à paraître aider son Cheval. Cette belle partie ayant été négligée, & la nonchalance jointe à un certain air de mollesse, ayant succédé à l'attention qu'on avait autrefois pour acquérir & pour conserver cette belle assiette, qui charme les yeux des spectateurs, & relève infiniment le mérite d'un beau Cheval, il n'est point étonnant que la Cavalerie ait tant perdu son ancien lustre.

Avant de monter un Cheval, il faut visiter d'un coup d'œil tout son équipage : cette attention, qui est l'affaire d'un moment, est absolument nécessaire pour éviter les inconvénients qui peuvent arriver à ceux qui négligent ce petit soin. Il faut d'abord voir, si la sous-gorge n'est point trop serrée, ce qui empêcherait la respiration du Cheval ; si la muserolle n'est point trop lâche ; car il faut, au contraire, qu'elle soit un peu serrée, tant pour la propreté, que pour empêcher certains Chevaux d'ouvrir la bouche ; & pour prévenir dans d'autres le défaut qu'ils ont de mordre à la botte. Il faut ensuite voir, si le mors n'est point trop haut, ce qui ferait froncer les lèvres, ou trop bas, ce qui le ferait porter sur les crochets ; si la selle n'est point trop en avant ; car, outre le danger d'estropier un Cheval sur le garrot, on l' empêcherait le mouvement des épaules ; si les sangles ne sont point trop lâches, ce qui ferait tourner la selle ; ou si elles ne sont point tendues, d'où il arrive souvent de fâcheux accidents. Il y a, par exemple, certains Chevaux qui s'enflent tellement le ventre par malice, en retenant leur haleine, lorsqu'on veut les sangler, qu'à grande peine les sangles peuvent approcher des contre-sanglots ; il y en a d'autres qui, si on les monte dès qu'ils sont sanglés, ont la dangereuse habitude d'essayer, en sautant, de casser leurs sangles, & quelquefois même de se renverser. Pour corriger ces défauts, on les tient sanglés dans l'écurie quelque temps avant de les monter, & on les fait trotter en main quelques pas. Il faut aussi voir, si le poitrail est au dessus de la jointure des épaules ; car s'il était trop bas, il en empêcherait le mouvement. Et enfin, si la croupière est d'une juste mesure, ni trop lâche, ce qui ferait tomber la selle en avant, ni trop courte, ce qui écorcherait le Cheval sous la queue & lui ferait faire des sauts & des ruades très-incommodes.

Après avoir fait ce petit examen, il faut s'approcher près de l'épaule gauche du Cheval, non-seulement pour être à portée de monter facilement dessus, mais pour éviter de recevoir un coup de pied, soit avec la jambe de devant, si l'on était vis-à-vis de l'encolure ; soit avec celle de derrière si l'on était placé vis-à-vis du ventre. Il faut ensuite prendre le bout des rênes avec la main droite, pour voir si elles ne sont point à l'envers ni détournées, et en ce cas il faudrait les remettre sur leur plat, en tournant le touret du bas de la branche. Il faut tenir la gaule la pointe en bas dans la main gauche, & de la même main, prendre les rênes, un peu longues de peur d'accident, avec une poignée de crin près du garrot, & bien serrer ces trois choses. Il faut ensuite avec la main droite, prendre le bas de l'étrivière près de l'étrier, tourner l'étrivière du côté du plat du cuir, ensuite on met le pied gauche à l'étrier, on porte la main droite sur l'arçon de derrière, on s'élève au-dessus de la selle, en passant la jambe droite étendue jusqu'à la pointe du pied, & enfin on entre dans la selle, en se tenant le corps droit. Toute cette suite d'action, qui est plus longue à décrire qu'à exécuter, doit se faire avec beaucoup de grâce, de promptitude & de légèreté, afin de ne pas tomber dans le cas de certains Cavaliers, qui affectent air de suffisance dans la pratique de choses, qui, quand on les sait faire une fois, sont très-faciles et très-simples, mais nécessaires.

Lorsqu'on est en selle, il faut passer la gaule dans main droite, la pointe en haut ; avec la même main prendre le bout des rênes, pour les tenir égales, ensuite les ajuster dans la main gauche, en les séparant avec le petit doigt de la même main, renfermer le bout des doigts dans le creux de la main, & étendre le pouce dessus les rênes, afin de les assurer, & de les empêcher de couler de la main.

La main de la bride gouverne l'avant-main. Elle doit être placée au dessus du col du Cheval, ni en dedans, ni en dehors, à la hauteur du coude, deux doigts au dessus & plus avant que le pommeau de la selle, afin qu'il n'empêche pas l'effet des rênes : elle doit être par conséquent détachée du corps, & éloignée de l'estomac, avec les ongles un peu tournés en dessus, vis-à-vis du ventre, & le poignet un peu arrondi. Nous parlerons dans le chapitre suivant des effets de la main de la bride, laquelle mérite une explication particulière.

La main droite doit être placée à la hauteur & près de la main gauche, quand on mène un Cheval les rênes égales ; mais lorsqu'on se sert de la rêne droite pour le plier avec la main droite, il faut qu'elle soit plus basse que la main gauche, & plus près de la bâte de la selle.

Immédiatement après avoir placé la main de la bride, il faut s'asseoir juste dans le milieu de la selle, la ceinture & les fesses avancées, afin de n'être point assis près de l'arçon de derrière ; il faut tenir ses reins pliés & fermes, pour résister au mouvement du Cheval.

M. le Duc de Newcastle dit qu'un Cavalier doit avoir deux parties mobiles & une immobile. Les premières sont le corps jusqu'au défaut de la ceinture, & les jambes depuis les genoux jusqu'aux pieds ; l'autre, est depuis la ceinture jusqu'aux genoux. Suivant ce principe, les parties mobiles d'en haut sont : la tête, les épaules, & les bras. La tête doit être placée droite & libre au dessus des épaules, en regardant entre les oreilles du Cheval ; les épaules doivent être aussi fort libres & un peu renversées en arrière ; car si la tête & les épaules étaient en avant, le derrière sortirait du fond de la selle, ce qui, outre la mauvaise grâce, ferait aller un Cheval sur les épaules, & lui donnerait occasion de ruer par le moindre mouvement. Les bras doivent être pliés au coude, & joints au corps sans contrainte, en tombant naturellement sur les hanches.

À l'égard des jambes, qui sont les parties mobiles d'en bas, elles servent à conduire & à tenir en respect le corps & l'arrière-main du Cheval : leur vraie position est d'être droites & libres du genou en bas, près du Cheval sans le toucher, les cuisses & les jarrets tournés en dedans, afin que le plat de la cuisse soit, pour ainsi dire, collé le long du quartier de la selle. Il faut pourtant que les jambes soient assurées, quoique libres, car si elles étaient incertaines, elles toucheraient incessamment le ventre, ce qui tiendrait le Cheval dans un continuel désordre. Si elles étaient trop éloignées, on ne serait plus à temps d'aider ou de châtier un Cheval à propos ; c'est-à-dire, dans le temps qu'il commet la faute. Si elles étaient trop avancées, on ne pourrait pas s'en servir pour le ventre, dont les aides sont les jambes ; si, au contraire, elles étaient trop en arrière, les aides viendraient dans les flancs, qui sont une partie trop chatouilleuse & trop sensible pour y appliquer les éperons ; & si enfin les jambes étaient trop raccourcies, lorsqu'on pèserait sur les étriers, on serait hors de la selle.

Le talon doit être un peu plus bas que la pointe du pied, mais pas trop, parce que cela tiendrait la jambe raide : il doit être, tourné tant soit peu plus en dedans qu'en dehors, afin de pouvoir conduire l'éperon facilement & sans contrainte à la partie du ventre, qui est à quatre doigts derrière les sangles. La pointe du pied doit déborder l'étrier d'un pouce ou deux seulement, suivant la largeur de la grille ; si elle était trop en dehors, le talon se trouverait trop près du ventre, & l'éperon chatouillerait continuellement le poil ; si, au contraire, elle était trop en dedans, alors le talon étant trop en dehors, la jambe serait estropiée. À proprement parler, ce ne sont point les jambes qu'il faut tourner à Cheval, mais le haut de la cuisse, c'est-à-dire, la hanche, et alors les jambes ne sont point trop tournées, & le sont autant qu'elles le doivent être aussi bien que le pied.

Il ne suffit pas de savoir précisément comme il faut se placer à Cheval, suivant les règles que nous venons de donner ; le plus difficile est de conserver cette posture lorsque le Cheval est en mouvement : c'est pour cela qu'un habile Maître a coutume de faire beaucoup trotter les commençants, afin de leur faire prendre le fond de la selle. Rien n'est au dessus du trot, pour donner de la fermeté à un Cavalier. On se trouve à son aise après cet exercice dans les autres allures, qui sont moins rudes. La méthode de trotter cinq ou six mois sans étriers est encore excellente; par là, nécessairement, les jambes tombent près du Cheval, & un Cavalier prend de l'assiette & de l'équilibre. Une erreur dans laquelle on tombe trop ordinairement, c'est de donner des sauteurs aux commençants, avant qu'ils aient attrapé au trot cet équilibre, qui est au dessus de la force des jarrets, pour se bien tenir à Cheval. Ceux qui ont l'ambition de monter trop tôt des sauteurs, prennent la mauvaise habitude de se tenir avec les talons ; & au sortir de l'Académie, ils ne laissent pas, avec leur prétendue fermeté, de se trouver très embarrassés sur de jeunes Chevaux. C'est en allant par degrés, qu'on acquiert cette fermeté, qui doit venir de l'équilibre, & non de ces jarrets de fer, qu'il faut laisser aux cassecous des Maquignons. Il faut pourtant dans de certaines occasions se servir de ces jarrets, & même vigoureusement, surtout dans des contretemps, qui sont si rudes et si subits, qu'on ne peut s'empêcher de perdre son assiette, mais il faut se remettre en selle & se relâcher d'abord après la bourrasque, autrement le Cheval recommencerait à se défendre de plus belle.

Dans une École bien réglée, on devrait après le trot, mettre un Cavalier au piaffer dans les piliers ; il apprendrait dans cette action, qui est très aisé, à se tenir de bonne grâce. Après le piaffer, il faudrait un Cheval qui allât à demi-courbette ; ensuite un à courbette ; un autre à balotade ou à croupade ; & enfin un à capriole. Insensiblement & sans s'en apercevoir, un Cavalier prendrait avec le temps la manière de se tenir ferme & droit, sans être raide ni gêné ; deviendrait libre & aisé sans mollesse ni nonchalance ; & surtout il ne serait jamais penché, ce qui est le plus grand de tous les défauts ; parce que les Chevaux sensibles vont bien ou mal, suivant que le contre-poids du corps, est régulièrement observé ou non.

7 De la main de la bride, & de ses effets.

Les mouvements de la main de la bride, servent à avertir le Cheval de la volonté du Cavalier ; & l'action que produit la bride dans la bouche du Cheval, est l'effet des différents mouvements de la main. Comme nous avons donné dans la première Partie de cet Ouvrage, l'explication des parties qui composent la bride, & la manière de l'ordonner, suivant la différence des bouches, nous n'en parlerons point ici.

M. de la Broue, & après lui M. le Duc de Newcastle, disent que pour avoir la main bonne, il faut qu'elle soit légère, douce et ferme. Cette perfection ne vient pas seulement de l'action de la main mais encore de l'assiette du Cavalier ; car lorsque le corps est ébranlé ou en désordre, la main sort de la situation où elle doit être, & le Cavalier n'est plus occupé qu'à se tenir : il faut encore que les jambes s'accordent avec la main, autrement l'effet de la main ne serait jamais juste ; cela s'appelle, en termes de l'Art, accorder la main & les talons, ce qui est la perfection de toutes les aides.

La main doit toujours commencer le premier effet, & les jambes doivent accompagner ce mouvement ; car c'est un principe général, que dans toutes les allures, tant naturelles qu'artificielles, la tête & les épaules du Cheval doivent marcher les premières ; & comme le Cheval a quatre principales allures qui sont, aller en avant, aller en arrière, aller à droite et aller à gauche ; la main de la bride doit aussi produire quatre effets qui sont, rendre la main, soutenir la main, tourner la main à droite, & tourner la main à gauche.

Le premier effet, qui est de rendre la main, pour aller en avant, est un mouvement qui se fait en baissant la main & en la tournant un peu les ongles en dessous : la seconde action qui est, de soutenir la main, se fait en approchant la main de l'estomac, & en la levant les ongles un peu en haut. Cette dernière aide, est pour arrêter un Cheval, ou marquer un demi-arrêt, ou bien pour le reculer : il ne faut pas, dans cette action, peser trop sur les étriers, & il faut, en marquant le temps de la main, mettre les épaules un peu en arrière, afin que le Cheval arrête ou recule sur les hanches. Le troisième effet de la main, est de tourner à droite en portant la main de ce côté, ayant les ongles un peu en haut, afin que la rêne de dehors, qui est la rêne gauche, laquelle doit faire action, puisse agir plus promptement. Le quatrième effet est de tourner à gauche, en y portant la main, tournant un peu les ongles en dessous, afin de faire agir la rêne du dehors, qui est la rêne droite à cette main.

Suivant ce que nous venons de dire, il est aisé de remarquer qu'un Cheval obéissant à la main, est celui qui la suit dans tous ses mouvements, & que sur l'effet de la main, est fondé celui des rênes qui font agir l'embouchure.

Il y a trois manières de tenir les rênes : séparées dans les deux mains, égales dans la main gauche, ou l'une plus courte que l'autre, suivant la main où l'on travaille un Cheval.

On appelle, rênes séparées, lorsqu'on tient la rêne droite dans la main droite, & la rêne gauche dans la main gauche.

On se sert des rênes séparées pour les Chevaux, qui ne sont point encore accoutumés à obéir à la main de la bride ; on s'en sert aussi pour les Chevaux qui se défendent, & qui refusent de tourner à une main.

Pour bien se servir des rênes séparées, il faut baisser la main gauche, lorsqu'on tire la rêne droite, pour tourner à droite ; & de même en tirant la rêne gauche pour faire tourner un Cheval à gauche, il faut baisser la rêne droite : autrement le Cheval ne saurait à quelle rêne obéir, si on ne baissait pas celle qui est opposée à la main où on le veut tourner.

Les rênes égales dans la main gauche servent, à mener un Cheval obéissant à la main de la bride, tant pour les Chevaux de campagne que pour ceux de chasse & de guerre ; mais lorsqu'on travaille un Cheval dans un manège, pour le dresser & lui donner la leçon, il faut que la rêne de dedans soit un peu raccourcie dans la main de la bride, afin de lui placer la tête du côté qu'il va : car un Cheval qui n'est point plié, n'a point de grâce dans un manège ; mais la rêne de dedans ne doit point être trop raccourcie; cela donnerait un faux appui, & et il faut toujours sentir dans la main de la bride, l'effet des deux rênes. Le plus difficile est de plier un Cheval à droite, non seulement parce que la plupart des Chevaux sont naturellement plus raides à cette main qu'à gauche ; mais cette difficulté vient encore de la situation des rênes dans la main gauche : comme elles doivent être séparées par le petit doigt, il se trouve que la rêne gauche, qui est par dessous le petit doigt, agit plus que la rêne droite, qui est par dessus ; en sorte que lorsqu'on travaille un Cheval à droite, il ne suffit pas d'accourcir la rêne droite pour le plier, on est souvent obligé de se servir de la rêne droite en la tirant avec le petit doigt de la main droite, qui fait la fonction du petit doigt de la main gauche, lorsqu'on travaille à gauche. Il y a très peu de personnes qui sachent bien se servir de la rêne droite : la plupart baissent la main gauche en la tirant, & alors ils ne tirent que le bout du nez du Cheval, parce que la rêne de dehors n'en soutient pas l'action : il faut donc lorsqu'on tire la rêne droite pour plier un Cheval à droite, que le sentiment de la rêne de dehors reste dans la main gauche, afin que le pli vienne du garrot & non du bout du nez, qui est une vilaine action.

Il n'en est pas de même pour la main gauche. La situation de la rêne de dedans, qui est au dessous du petit doigt, donne beaucoup de facilité à plier un Cheval à cette main, joint à ce que presque tous les Chevaux y ont plus de disposition. Il faut remarquer que lorsqu'un Cheval est bien dressé, il ne faut raccourcir que très peu la rêne de dedans, ni se servir que rarement de la main droite pour le plier à droite, parce qu'il doit alors se plier par l'accord de la main & des jambes ; mais avant qu'il soit parvenu à ce degré de perfection, il faut nécessairement se servir des rênes de la manière que nous venons d'expliquer.

La hauteur de la main règle ordinairement celle de la tête du Cheval ; c'est pourquoi il faut la tenir plus haute que dans la situation ordinaire pour les Chevaux qui portent bas afin de les relever ; & elle doit être plus basse & plus prés de l'estomac pour ceux qui portent le nez au vent, afin de les ramener & de leur faire baisser la tête.

Lorsqu'on porte la main en avant, cette action lâche la gourmette & diminue par conséquent l'effet du mors. On se sert de cette aide pour chasser en avant un Cheval qui se retient ; lorsque au contraire, on retient la main près de l'estomac, alors la gourmette fait plus d'effet, & le mors appuie plus ferme sur les barres, ce qui est bon pour les Chevaux qui tirent à la main.

Nous avons dit ci-dessus, que la main bonne renfermait trois qualités, qui sont d'être légère, douce & ferme.

La main légère, est celle qui ne sent point l'appui du mors sur les barres.

La main douce, est celle qui sent un peu l'effet du mors sans donner trop d'appui.

Et la main ferme, est celle qui tient le Cheval dans un appui à pleine main.

C'est un grand art que de savoir accorder ces trois différents mouvements de la main, suivant la nature de la bouche de chaque Cheval, sans contraindre trop & sans abandonner à coup le véritable appui de la bouche & c'est-à-dire, qu'après avoir rendu la main, ce qui est l'action de la main légère, il faut la retenir doucement, pour chercher & sentir peu à peu dans la main, l'appui du mors ; c'est ce qu'on appelle avoir la main douce ; on résiste ensuite de plus en plus en tenant le Cheval dans un appui plus fort, ce qui provient de la main ferme : & alors on adoucit, & on diminue dans la main le sentiment du mors avant de passer à la main légère ; car il faut que la main douce précède & suive toujours l'effet de la main ferme, & l'on ne doit jamais rendre la main à coup, ni la tenir ferme d'un seul temps : on offenserait la bouche du Cheval, & on lui ferait donner des coups de tête.

Il y a deux manières de rendre la main. La première qui est la plus ordinaire & la plus en usage, est de baisser la main de la bride, comme nous l'avons dit. La deuxième manière, est de prendre les rênes avec la main droite, au dessus de la main gauche, & en lâchant un peu les rênes dans la main gauche, on fait passer le sentiment du mors dans la main droite, & enfin en quittant tout-à-fait les rênes qui étaient dans la main gauche, on baisse la main droite sur le cou du Cheval, & alors le Cheval se trouve tout-à-fait libre, sans bride. Cette dernière façon de rendre la main, s'appelle, Descente de main : on la fait aussi en prenant le bout des rênes avec la main droite, la main à la hauteur de la tête du Cavalier, & le bras droit en avant & libre ; mais il faut être bien sûr de la bouche d'un Cheval & de son obéissance, pour entreprendre de le mener de cette dernière façon. Il faut bien se donner de garde de rendre la main, ni de faire la descente de main, lorsque le Cheval est sur les épaules ; le vrai temps de faire ce mouvement à propos, c'est après avoir marqué un demi-arrêt, & lorsqu'on sent que le Cheval plie les hanches, de lui rendre subtilement la bride, ou bien l'on fait la descente de main. Ce temps, qu'il faut prendre bien juste, & qu'il est difficile de saisir à propos, est une aide des plus subtiles & des plus utiles de la Cavalerie ; parce que le Cheval, pliant les hanches dans le temps qu'on abandonne l'appui, il faut nécessairement qu'il demeure léger à la main, n'ayant point de quoi appuyer sa tête.

Il y a encore une autre manière de se servir des rênes, mais elle est peu usitée : c'est d'attacher chaque rêne à l'arc du banquet, alors la gourmette ne fait aucun effet. Cette façon de se servir des rênes, s'appelle, Travailler avec de fausses rênes : on s'en sert encore quelquefois pour accoutumer les jeunes Chevaux à l'appui du mors, lorsqu'on commence à leur mettre une bride.

M. le Duc de Newcastle fait une Dissertation sur les rênes de la bride, où il paraît quelque vrai-semblance dans la spéculation ; mais qui, selon moi se détruit dans l'exécution. Il dit «que de quelque côté que les rênes soient tirées, l'embouchure va toujours du côté opposé à la branche ; que lorsque la branche vient en dedans, l'embouchure va en dehors, en sorte» continue-t-'il, «que les rênes étant séparées, lorsqu'on tire la rêne droite, l'embouchure sort dehors de l'autre côté, & oblige le Cheval de regarder hors de volte, & on presse aussi la gourmette du côté de dehors.»

Ce principe est détruit par l'usage, qui nous prouve que le Cheval est déterminé à obéir au mouvement de la main, du côté qu'on tire la rêne. En tirant, par exemple, la rêne droite, le Cheval est obligé de céder à ce mouvement & de porter la tête de ce côté. Je conviens qu'en tirant simplement la rêne, sans ramener en même temps la main près de soi, comme on le doit, l'appui sera plus fort du côté opposé ; mais cela n'empêchera pas le Cheval d'obéir à la main, & de porter la tête de ce côté, parce qu'il est obligé de suivre la plus forte impression, laquelle ne vient pas seulement de l'appui qui se fait du côté de dehors, mais de la rêne qui fait agir toute l'embouchure, la tire & par conséquent la tête du Cheval aussi, du côté où l'ont veut aller. D'ailleurs, en se servant de sa main à propos, on accourcit un peu la rêne de dedans & alors le mors appuie sur la partie que l'on veut déterminer.

Il faut encore remarquer, que lorsqu'on se sert de la rêne de dehors, en portant la main en dedans, cette action détermine l'épaule de dehors en dedans, & fait passer la jambe de dehors pardessus celle de dedans, & lorsqu'on se sert de la rêne de dedans, en portant la main en dehors, ce mouvement élargit l'épaule de dedans, c'est-à-dire, fait croiser la jambe de dedans pardessus celle de dehors. On voit par ces différents effets de la rêne de dehors, & de celle de dedans, que c'est le port de la main qui fait aller les parties de l'avant-train du Cheval, & que tout Cavalier qui ne connaît pas l'usage des rênes de la bride, travaille sans règle & sans principe.

8 Des aides & des châtiments nécessaires pour dresser les Chevaux.

Des cinq sens de la nature, dont tous les Animaux sont doués, aussi-bien que l'Homme, il y en a trois sur lesquels il faut travailler un Cheval pour le dresser ; ce sont, la Vue, l'Ouie, & le Toucher.

On dresse un Cheval sur le sens de la vue, lorsqu'on lui apprend à approcher des objets qui peuvent lui faire ombrage ; car il n'y a point d'animal si susceptible d'impression des objets qu'il n'a pas encore vus, que le Cheval.

On le dresse sur le sens de l'ouïe, lorsqu'on l'accoutume au bruit des armes, des tambours & des autres rumeurs guerrières ; lorsqu'on le rend attentif & obéissant à l'appel de la langue, au sifflement de la gaule, et quelquefois au son doux de la voix, qu'un Cavalier emploie pour les caresses, ou à un ton plus rude dont on se sert pour les menaces.

Mais le sens du toucher, est le plus nécessaire, parce que c'est par celui-là qu'on apprend à un Cheval à obéir au moindre mouvement de la main & des jambes, en lui donnant de la sensibilité à la bouche & aux côtés, si ces parties en manquent ; ou en leur conservant cette bonne qualité, si elles l'ont déjà. On emploie pour cela les aides & les châtiments ; les aides, pour prévenir les fautes que le Cheval peut faire ; les châtiments, pour le punir dans le temps qu'il fait une faute ; & comme les Chevaux n'obéissent que par la crainte du châtiment, les aides ne sont autre chose, qu'un avertissement qu'on donne au Cheval, qu'il sera châtié, s'il ne répond à leur mouvement.

Des Aides.

Les aides consistent dans les différents mouvements de la main de la bride; dans l'appel de la langue ; dans le sifflement et le toucher de la gaule; dans le mouvement des cuisses, des jarrets et des gras de jambes, dans le pincer délicat de l'éperon ; & enfin dans la manière de peser sur les étriers.

Nous avons expliqué dans le Chapitre précédent les différents mouvements de la main de la bride & leurs effets ; ainsi nous passons aux autres aides.

L'appel de la langue, est un son qui se forme en recourbant le bout de la langue vers le palais, & en la retirant ensuite tout à coup, en ouvrant un peu la bouche. Cette aide sert à réveiller un Cheval, à le tenir gai en maniant, & à le rendre attentif aux aides ou aux châtiments qui suivent cette action, s'il n'y répond pas. Mais on doit se servir rarement de cette aide, car il n'y a rien de si choquant que d'entendre un Cavalier appeler continuellement de la langue ; cela ne fait plus alors d'impression sur l'ouie, qui est le sens sur lequel elle doit agir. Il ne faut pas non plus appeler trop fort : ce son ne doit, pour ainsi dire, être entendu que du Cheval. Il est bon de remarquer en passant, qu'il ne faut jamais appeler de la langue, lorsqu'on est à pied, & que quelqu'un passe à cheval devant nous : c'est une impolitesse qui choque le Cavalier; cela n'est permis que dans une seule occasion, qui est lorsqu'on fait monter un Cheval pour le vendre.

Quoique la gaule soit plus pour la grâce que pour la nécessité, on ne laisse pas de s'en servir quelquefois utilement. On la tient haute dans la main droite, pour acquérir une manière libre de se servir de son épée.

La gaule est en même temps aide & châtiment. Elle est aide lorsqu'on la fait siffler dans la main, le bras haut et libre pour animer un Cheval ; lorsqu'on le touche légèrement avec la pointe de la gaule sur l'épaule de dehors pour le relever ; lorsqu'on tient la gaule sous main, c'est-à-dire, croisée par dessous le bras droit, la pointe au dessus de la croupe, pour être à portée d'animer & de donner du jeu à cette partie ; & enfin lorsqu'un homme à pied touche de la gaule devant, c'est-à-dire, sur le poitrail pour faire lever le devant, ou sur les genoux pour lui faire plier les bras.

La gaule n'est pas propre pour les Chevaux de guerre qui doivent obéir de la main à la main, & en avant pour les jambes, à cause de l'épée qui doit être à la place de la gaule dans la main droite, qu'on appelle aussi pour cela la main de l'épée. Dans un manège on doit tenir la gaule toujours opposée au côté où l'on fait aller le Cheval, parce qu'on ne doit s'en servir que pour animer les parties de dehors.

Il y a dans les jambes du Cavalier cinq aides, c'est-à-dire, cinq mouvements : celui des cuisses, celui des jarrets, celui des gras de jambes, celui du pincer délicat de l'éperon, & celui que l'on fait en pesant sur les étriers.

L'aide des cuisses & des jarrets, se fait en serrant les deux cuisses ou les deux jarrets, pour chasser un Cheval en avant ; ou en serrant seulement la cuisse ou le jarret de dehors, pour le presser sur le talon du dedans ; ou en serrant celui de dedans, pour le soutenir, s'il se presse trop en dedans. Il faut remarquer que les Chevaux qui sont chatouilleux, & qui retiennent leurs forces par malice, se déterminent plus volontiers par des jarrets vigoureux que par les éperons ; & ordinairement ils se retiennent quelque temps à l'éperon, avant que de partir.

L'aide des gras de jambes, qui se fait en les approchant délicatement du ventre, est pour avertir le Cheval, qui n'a point répondu à l'aide des jarrets, que l'éperon n'est pas loin s'il n'est point sensible à leur mouvement. Cette aide est encore une des plus gracieuses & des plus utiles dont un Cavalier puisse se servir, pour rassembler un Cheval dressé, & par conséquent sensible, lorsqu'il ralentit l'air de son manège.

L'aide du pincer délicat de l'éperon, se fait en l'approchant subtilement près du poil du ventre, sans appuyer ni pénétrer jusqu'au cuir ; c'est un avis encore plus fort que celui des cuisses, des jarrets & des gras de jambes. Si le Cheval ne répond pas à toutes ces aides, on lui appuie vigoureusement les éperons dans le ventre, pour le châtier de son indocilité.

Enfin l'aide du peser sur les étriers, est la plus douce de toutes les aides ; les jambes alors servent de contre-poids pour redresser les hanches & pour tenir le Cheval droit dans la balance des talons. Cette aide suppose dans un Cheval beaucoup d'obéissance & de sensibilité, puisque par la seule pression qu'on fait en appuyant plus sur un étrier que sur l'autre, on détermine un Cheval à obéir à ce mouvement, qui se fait, en pesant sur l'étrier de dehors, pour presser & faire de côté un Cheval en dedans ; en pesant sur celui dedans, pour soutenir & retenir un Cheval qui se presse trop en dedans ; ou bien en pesant sur les deux également, pour l'avertir de diligenter sa cadence, lorsqu'il se retient plus qu'il ne doit.

Il ne faut pas croire que cette grande sensibilité de bouche & de côtés puisse se conserver longtemps dans les Chevaux qui sont abandonnés à l'École : les différentes mains qui les mènent, leur font perdre cette finesse & cette justesse, qui sont tout le mérite d'un Cheval bien dressé; & le sentiment du toucher si délicat, s'émousse avec le temps ; mais s'ils ont été dressés par des principes solides, lorsqu'un Homme de Cheval viendra à les rechercher, il fera bientôt revivre ce qu'une fausse pratique avait amorti.

Des Châtiments

Les aides n'étant, comme nous venons de le dire, qu'un avis qu'on donne au Cheval, qu'il sera puni s'il ne répond pas à leur mouvement, les châtiments ne sont par conséquent que la punition qui doit suivre de près la désobéissance du Cheval à l'avis qu'on lui donne ; mais il faut que la violence des coups soit proportionnée au naturel du Cheval ; car souvent les châtiments médiocres, bien jugés & faits à temps, suffisent pour rendre un Cheval aisé & obéissant ; d'ailleurs, on a l'avantage de lui conserver, par ce moyen, la disposition & le courage ; de rendre l'exercice plus brillant, & de faire durer longtemps un Cheval en bonne École.

On emploie ordinairement trois sortes de châtiments : celui de la chambrière, celui de la gaule & celui des éperons.

La chambrière est le premier châtiment dont on se sert pour faire craindre les jeunes Chevaux, lorsqu'on les a fait trotter à la longe. Et c'est la première leçon qu'on doit leur donner, comme nous l'expliquerons dans la suite. On se sert encore de la chambrière pour apprendre à un Cheval à piaffer dans les piliers : on s'en sert aussi pour chasser en avant les Chevaux paresseux qui se retiennent & s'endorment ; mais elle est absolument nécessaire pour les Chevaux rétifs & ceux qui sont ramingues & insensibles à l'éperon ; parce qu'il faut remarquer que le propre des coups qui fouettent, lorsqu'ils sont bien appliqués & à temps, est de faire beaucoup plus d'impression, & de chasser bien plus un Cheval malin, que ceux qui le piquent ou qui le chatouillent.

On tire de la gaule deux sortes de châtiments. Le premier, lorsqu'on en frappe un Cheval vigoureusement derrière la botte, c'est-à-dire, sur le ventre & sur les fesses, pour le chasser en avant. Le second châtiment de la gaule, c'est d'en appliquer un grand coup sur l'épaule d'un Cheval qui détache continuellement des ruades par malice, & ce châtiment corrige plus ce vice que les éperons, auxquels il n'obéira que lorsqu'il les craindra & les connaîtra.

Le châtiment qui vient des éperons, est un grand remède pour rendre un Cheval sensible & fin aux aides ; mais ce châtiment doit être ménagé par un homme sage & savant : il faut s'en servir avec vigueur dans l'occasion, mais rarement ; car rien ne désespère & n'avilit plus un Cheval que les éperons trop souvent & mal-à-propos appliqués.

Les coups d'éperons doivent se donner dans le ventre, environ quatre doigts derrière les sangles ; car si l'on appuyait les éperons trop en arrière, c'est-à-dire, dans les flancs, le Cheval s'arrêterait & ruerait au lieu d'aller en avant, parce que cette partie est trop sensible & trop chatouilleuse ; & au contraire, si on les appuyait dans les sangles (défaut de ceux qui ont la jambe raccourcie & tournée trop en dehors), alors le châtiment serait inutile & sans effet.

Pour bien donner des éperons, il faut approcher doucement le gras des jambes, ensuite appuyer les éperons dans le ventre. Ceux qui ouvrent les jambes & appliquent les éperons d'un seul temps, comme s'ils donnaient un coup de poing, surprennent et étonnent un Cheval, & il n'y répond pas si bien que lorsqu'il est prévenu & averti par l'approche insensible des gras de jambes. Il y en a d'autres qui, avec des jambes ballantes, chatouillent continuellement le poil avec leurs éperons, ce qui accoutume un Cheval à quoailler, c'est-à-dire, à remuer sans cesse la queue en marchant, action fort désagréable pour toutes sortes de Chevaux, & encore plus pour un Cheval dressé.

Il ne faut pas que les éperons soient trop pointus pour les Chevaux rétifs & ramingues ; au lieu d'apporter remède à ces vices, on y en ajouterait d'autres. Il y en a qui, lorsqu'on les pince trop vertement, pissent de rage, d'autres se jettent contre le mur ; d'autres s'arrêtent tout à fait, et quelquefois se couchent par terre. Pour accoutumer aux éperons les Chevaux qui ont ces vices, il ne faut les appliquer qu'après la chambrière & dans le milieu d'un partir de main.

L'aide du pincer délicat de l'éperon, devient aussi châtiment pour certains Chevaux, qui sont très fins aux aides, & même si sensibles, qu'il faut se relâcher tout à fait & ne point se raidir sur eux, car autrement, ils feraient des pointes & des élans ; ainsi le pincer, quelque délicat qu'il soit, produit le même effet sur ces sortes de Chevaux, & même un plus grand, que les coups d'éperon bien appliqués ne pourraient faire sur ceux qui n'ont qu'une sensibilité ordinaire.

Il faut bien connaître le naturel d'un Cheval pour savoir faire un bon usage des châtiments, en les proportionnant à la faute qu'il fait, & à la manière dont il les reçoit ; afin de les continuer, de les augmenter, de les diminuer, & même de les cesser selon la disposition & la force ; & il ne faut pas prendre toutes les fautes qu'un Cheval fait pour des vices; puisque la plupart du temps elles viennent d'ignorance, & souvent de faiblesse.

On doit aider & châtier sans faire de grands mouvements ; mais il faut beaucoup de subtilité & de diligence ; c'est dans le temps que la faute est commise qu'il faut employer les châtiments, autrement ils seraient plus dangereux qu'utiles ; surtout il ne faut jamais châtier un Cheval par humeur & en colère, mais toujours de sang froid. Enfin l'on peut dire que le ménagement des aides & des châtiments, est une des plus belles parties de l'Homme de Cheval.

9 De la nécessité du Trot pour assouplir les jeunes Chevaux, & de l'utilité du Pas.

Monsieur de la Broue ne pouvait définir plus exactement un Cheval bien dressé, qu'en disant, que c'est celui qui a la souplesse, l'obéissance & la justesse ; car si un Cheval n'a le corps entièrement libre & souple, il ne peut obéir aux volontés de l'homme avec facilité et avec grâce, & la souplesse produit nécessairement la docilité, parce que le Cheval alors n'a aucune peine à exécuter ce qu'on lui demande ; ce sont donc ces trois qualités essentielles qui font ce qu'on appelle, un Cheval ajusté.

La première de ces qualités ne s'acquiert que par le trot. C'est le sentiment général de tous les savants Écuyers, tant anciens que modernes, & si parmi ces derniers quelques-uns ont voulu, sans aucun fondement, rejeter le trot, en cherchant dans un petit pas raccourci, cette première souplesse & cette liberté, ils se sont trompés ; car on ne peut les donner à un Cheval, qu'en mettant dans un grand mouvement tous les ressorts de sa machine : par ce raffinement on endort la nature, & l'obéissance devient molle, languissante & tardive, qualités bien éloignées du vrai brillant qui fait l'ornement d'un Cheval bien dressé.

C'est par le trot, qui est l'allure la plus naturelle, qu'on rend un Cheval léger à la main, sans lui gâter la bouche, & qu'on lui dégourdit les membres, sans les offenser ; parce que dans cette action, qui est la plus relevée de toutes les allures naturelles, le corps du Cheval est également soutenu sur deux jambes, l'une devant et l'autre derrière ; ce qui donne aux deux autres, qui sont en l'air, la facilité de se relever, de se soutenir, & de s'étendre en avant, & par conséquent un premier degré de souplesse dans toutes les parties du corps.

Le trot est donc, sans contredit, la base de toutes les leçons, pour parvenir à rendre un Cheval adroit & obéissant ; mais quoiqu'une chose soit excellente dans son principe, il ne faut pas en abuser, en trottant un Cheval des années entières, comme on faisait autrefois en Italie, & comme on fait encore actuellement dans quelques pays, où la Cavalerie est d'ailleurs en grande réputation. La raison en est bien simple, la perfection du trot provenant de la force des membres, cette force & cette vigueur naturelle, qu'il faut absolument conserver dans un Cheval, se perd & s'éteint dans l'accablement & la lassitude, qui sont la suite d'une leçon trop violente, & trop longtemps continuée. Ce désordre arrive encore à ceux qui font trotter de jeunes Chevaux dans des lieux raboteux & dans des terres labourées ; ce qui est la source des vessigons, des courbes, des éparvins, & des autres maladies des jarrets ; accidents qui arrivent à de très braves Chevaux, en leur foulant les nerfs & les tendons, par l'imprudence de ceux qui se piquent de dompter un Cheval en peu de temps ; c'est bien plutôt le ruiner que de le dompter.

La longe attachée au caveçon sur le nez du Cheval, & la chambrière, sont les premiers & les seuls instruments dont on doit se servir dans un terrain uni, pour apprendre à trotter aux jeunes Chevaux qui n'ont point encore été montés, ou à ceux qui l'ont déjà été, & qui pèchent par ignorance, par malice, ou par raideur.

Lorsqu'on fait trotter un jeune Cheval à la longe, il ne faut point dans les commencements lui mettre de bride, mais un bridon ; car un mors, quelque doux qu'il soit, lui offenserait la bouche, dans les faux mouvements & les contretemps que font ordinairement les jeunes Chevaux, avant qu'ils aient acquis la première obéissance qu'on leur demande.

Je suppose donc qu'un Cheval soit en âge d'être monté, & qu'on l'ait rendu assez familier & assez docile pour souffrir l'approche de l'homme, la selle & l'embouchure : il faudra alors lui mettre un caveçon sur le nez, le placer assez haut pour ne lui point ôter la respiration en trottant, & la muserolle du caveçon assez serrée pour ne point varier sur le nez. Il faut encore que le caveçon soit armé d'un cuir, afin de conserver la peau du nez qui est très tendre dans les jeunes Chevaux.

Deux personnes à pied doivent conduire cette leçon : l'une tiendra la longe & l'autre la chambrière. Celui qui tient la longe, doit occuper le centre autour duquel on fait trotter le Cheval, & celui qui tient la chambrière suit le Cheval par derrière, & le chasse en avant avec cet instrument en lui en donnant légèrement sur la croupe & plus souvent par terre ; car il faut bien ménager ce châtiment dans les commencements de peur de rebuter un Cheval qui n y est point accoutumé. Quand il a obéi trois ou quatre tours à une main, on l'arrête, & on le flatte ; ce qui se fait en accourcissant peu à peu la longe, jusqu'à ce que le Cheval soit arrivé au centre, où est placé celui qui le conduit ; & alors celui qui tient la chambrière la cache derrière lui pour l'ôter de la vue du Cheval, & vient le flatter conjointement avec celui qui tient la longe.

Après lui avoir laissé reprendre haleine, il faudra le faire trotter à l'autre main & observer la même pratique. Comme il arrive souvent qu'un Cheval, soit par trop de gaieté, soit par la crainte de la chambrière, galope au lieu de trotter, ce qui ne vaut rien ; il faudra tâcher de lui rompre le galop en secouant légèrement le caveçon sur le nez avec la longe, & en lui ôtant en même temps la crainte de la chambrière ; mais si, au contraire, il s'arrête de lui-même, & refuse d'aller au trot, il faut lui appliquer de la chambrière sur la croupe & sur les fesses, jusqu'à ce qu'il aille en avant, sans pourtant le battre trop ; car les grands coups souvent réitérés désespèrent un Cheval, le rendent vicieux, ennemi de l'Homme & de l'École ; & lui ôtent cette gentillesse qui ne revient jamais, quand une fois elle est perdue. Il ne faut pas non plus, pour la même raison, faire de longues reprises ; elles fatiguent & ennuient un Cheval, mais il faut le renvoyer à l'écurie avec la même gaieté qu'il en est sorti.

Quand le Cheval commencera à trotter librement à chaque main, & qu'on l'aura accoutumé à venir au centre, il faudra alors lui apprendre à changer de main ; & pour cela, celui qui tient la longe, dans le temps que le Cheval trotte à une main, doit reculer deux ou trois pas en tirant à lui la tête du Cheval, & en même temps celui qui tient la chambrière, doit gagner l'épaule de dehors du Cheval, pour le faire tourner à l'autre main, en lui montrant la chambrière, & même l'en frappant, s'il refuse d'obéir, ensuite le finir au centre, l'arrêter, le flatter & le renvoyer.

Afin que la leçon du trot à la longe soit plus profitable, il faudra avoir l'attention de tirer la tête du Cheval en dedans avec la longe, & de lui élargir en même temps la croupe avec la chambrière, c'est-à-dire, la jeter dehors, en lui faisant faire un cercle plus grand que celui des épaules, ce qui donne la facilité à celui qui tient la longe, d'attirer l'épaule de dehors du Cheval en dedans, dont le mouvement circulaire qu'elle est obligée de faire dans cette posture, assouplit un Cheval.

Après avoir accoutumé le Cheval à l'obéissance de cette première leçon, ce qu'il exécutera en peu de jours, si l'on s'y prend de la manière que nous venons de l'expliquer ; il faudra ensuite le monter, en prenant toutes les précautions nécessaires pour le rendre doux au montoir. Le Cavalier étant en selle, tâchera de donner au Cheval les premiers principes de la connaissance de la main & des jambes ; ce qui se fait de cette manière. Il tiendra les rênes du bridon séparées dans les deux mains, & quand il voudra faire marcher son Cheval, il baissera les deux mains, & en même temps il approchera doucement près du ventre les deux gras de jambes, sans avoir d'éperons (car il n'en faut point dans ces commencements.) Si le Cheval ne répond point à ces premières aides, ce qui ne manquera pas d'arriver, ne les connaissant point, il faudra alors lui faire peur de la chambrière, pour laquelle il est accoutumé de fuir ; en sorte qu'elle servira de châtiment lorsque le Cheval ne voudra pas aller en avant pour les jambes du Cavalier ; mais il ne faudra s'en servir que dans le temps que le Cheval refusera d'obéir aux mouvements des jarrets & des gras de jambes.

De même, lorsqu'on veut apprendre au Cheval à tourner pour la main, il faut dans le temps que le Cavalier tire la rêne de dedans du bridon, & que le Cheval refuse de tourner, que celui qui tient la longe, tire la tête & l'oblige de tourner ; en sorte qu'elle serve de moyen pour l'accoutumer à tourner pour la main, comme la chambrière à fuir pour les jambes, jusqu'à ce qu'enfin le Cheval soit accoutumé à suivre la main, & à fuir les jambes du Cavalier ; ce qui se fera en peu de temps si l'on emploie les premières aides avec le jugement et la discrétion qu'il faut avoir en commençant les jeunes Chevaux : car le manque de précaution dans ces commencements, est la source de la plupart des vices & des désordres dans lesquels tombent les Chevaux par la suite.

Lorsque le Cheval commencera à obéir facilement, & se déterminera sans hésiter, soit à tourner pour la main, soit à aller en avant pour les jambes & à changer de main, comme nous venons de l'enseigner ; il faudra alors examiner de quelle nature il est, pour proportionner son trot à sa disposition & à son courage.

Il y a en général deux sortes de natures de Chevaux. Les uns retiennent leurs forces, & sont ordinairement légers à la main ; les autres s'abandonnent, & sont pour la plupart pesants, ou tirent à la main.

Quant à ceux qui se retiennent naturellement, il faut les mener dans un trot étendu & hardi pour leur dénouer les épaules & les hanches. À l'égard des autres, qui sont naturellement pesants, ou qui tirent à la main en tendant le nez, il faut que leur trot soit plus relevé & plus raccourci, afin de les préparer à se tenir ensemble. Mais les uns & les autres doivent être entretenus dans un trot égal et ferme, sans traîner les hanches, & il faut que la leçon soit soutenue avec la même vigueur du commencement jusqu'à la fin, sans pourtant que la reprise soit trop longue.

Ces premières leçons de trot ne doivent avoir pour but, ni de faire la bouche, ni d'assurer la tête du Cheval ; il faut attendre qu'il soit dégourdi, & qu'il ait acquis la facilité de tourner aisément aux deux mains ; par ce moyen on lui conservera la sensibilité de la bouche, & c'est pour cela que le bridon est excellent dans ces commencements, parce qu'il appuie très peu sur les barres, & point du tout sur la barbe qui est une partie très délicate, & où réside, comme le dit fort bien M. le Duc de Newcastle, le vrai sentiment de la bouche du Cheval.

Lorsqu'il commencera à obéir à la main & aux jambes sans le secours de la longe, ni de la chambrière ; il faudra alors, et pas plutôt, le mener en liberté, c'est-à-dire sans longe, & au pas sur une ligne droite, en le sortant du cercle, pour l'aligner, c'est-à-dire, lui apprendre à marcher droit & à connaître le terrain. Sitôt qu'il ira bien au pas sur les quatre lignes & dans les quatre coins du carré, sur lequel on l'aura mené, il faudra ensuite sur ces quatre mêmes lignes, le mener au trot, toujours les rênes du bridon séparées dans les deux mains, en sorte que de quatre petites reprises, qui sont suffisantes chaque jour, & chaque fois qu'on monte un Cheval, il faut en faire deux au pas, & les deux autres au trot alternativement, en finissant par le trot, parce qu'il n'y a que cette allure qui donne la première souplesse.

Si le Cheval continue d'obéir facilement au pas & au trot avec le bridon, il faudra commencer à lui mettre une bride avec un mors à simple canon & une branche droite, qui est la première embouchure qu'on donne aux jeunes Chevaux, comme nous l'avons expliqué dans la première partie.

Du Pas.

Quoique je regarde le trot comme le fondement de la première liberté qu'on doit donner aux Chevaux ; je ne prétends pas pour cela exclure le Pas, qui a aussi un mérite particulier.

Il y a deux sortes de pas. Le pas de Campagne, & le pas d'École.

Nous avons donné la définition du pas de Campagne dans le Chapitre des Mouvements naturels, & nous avons dit que c'est l'action la moins élevée & la plus lente de toutes les allures naturelles, ce qui rend cette allure douce & commode ; parce que dans cette action, le Cheval étendant ses jambes en avant et près de terre, il ne secoue pas le Cavalier, comme dans les autres allures, où les mouvements étant relevés & détachés de terre, on est continuellement occupé de sa posture, à moins qu'on n'ait une grande pratique.

Le pas d'École est différent de celui de Campagne, en ce que l'action du premier, est plus soutenue, plus raccourcie, & plus rassemblée ; ce qui est d'un grand secours pour faire la bouche à un Cheval, lui fortifier la mémoire, le rapatrier avec le Cavalier, lui rendre supportable la douleur & la crainte des leçons violentes qu'on est obligé de lui donner pour l'assouplir, & le confirmer à mesure qu'il avance dans l'obéissance de la main & des jambes. Voilà les avantages qu'on tire du Pas d'École ; ils sont si grands qu'il n'y a point de Cheval, quelque bien dressé qu'il soit, auquel cette leçon ne soit très profitable.

Mais comme un jeune Cheval au sortir du trot, où il a été étendu et allongé, ne peut pas si-tôt être raccourci dans une allure rassemblée, comme celle du Pas d'École ; je n'entends pas non plus qu'on le tienne dans cette sujétion, avant qu'il y ait été préparé par les arrêts & les demi-arrêts dont nous parlerons dans le Chapitre suivant.

C'est donc au pas lent & peu raccourci, qu'il faut mener un Cheval qui commence à savoir trotter, afin de lui donner de l'assurance & de la mémoire ; mais afin qu'il conserve au pas la liberté des épaules, il faut le mener sur de fréquentes lignes droites, en le tournant, tantôt à droite, tantôt à gauche sur une nouvelle ligne, plus ou moins longue, suivant qu'il se retient ou s'abandonne.

Il ne faut pas tourner tout le corps du Cheval sur ces différentes lignes droites, mais seulement les épaules, en le faisant toujours marcher en avant, après l'avoir tourné. Cette manière de tourner les épaules au pas sur de fréquentes lignes droites aux deux mains indifféremment, sans aucune observation de terrain, que celle de tourner & aller droit, suivant la volonté du Cavalier, est bien meilleure que celle de mener un Cheval sur un cercle, parce que suivant cette méthode, on tient toujours les hanches sur la ligne des épaules ; et sur la ligne du cercle, le Cheval est couché & hors de la ligne droite. Il faut pourtant revenir au cercle, lorsque le Cheval se raidit, s'endurcit, ou se défend à une main ; c'est le seul remède : aussi le regardai-je comme un châtiment ; & c'est pour cela que je conseille de remettre à la longe tout Cheval qui se défend dans les commencements qu'on le dresse : cette punition fait plus d'effet & corrige plus un Cheval que tous les châtiments qu'on pourrait lui faire en liberté.

Quoique la leçon de mener un Cheval sur de nouvelles & de fréquentes lignes droites, soit excellente pour apprendre à un Cheval à tourner avec facilité ; il faut, quand il sera obéissant à cette leçon, et qu'on en voudra faire un Cheval de promenade, le mener sur une longue & seule ligne droite, afin de lui donner un pas étendu et allongé, le tournant seulement de temps en temps, pour lui conserver l'obéissance de la main & la souplesse des épaules ; mais il faut pour cela le mener en pleine campagne, car le terrain d'un manège est trop borné.

Si l'on s'aperçoit que le pas soit contraire au naturel d'un Cheval paresseux & endormi, parce qu'il ne sera point encore assez assoupli, il faudra le remettre au trot vigoureux & hardi, & même le châtier des éperons & de la gaule, jusqu'à ce qu'enfin il prenne un pas sensible & animé.

10 De l'Arrêt, du demi -Arrêt, & du Reculer.

Après avoir démontré dans le Chapitre précédent, que le trot est le seul moyen de donner aux jeunes Chevaux la première souplesse, dont ils ont besoin pour se disposer à l'obéissance ; il faut passer à une autre leçon, qui n'est pas moins utile ; puisqu'elle consiste à les préparer, à se mettre sur les hanches, pour les rendre agréables & légers à la main.

On appelle un Cheval sur les hanches, celui qui baisse & plie les hanches sous lui, en avançant les pieds de derrière & les jarrets sous le ventre, pour se donner sur les hanches un équilibre naturel, qui contrebalance le devant, qui est la partie la plus faible : duquel équilibre naît l'agrément & la légèreté de la bouche du Cheval.

Il faut remarquer qu'un Cheval, en marchant, est naturellement porté à se servir de la force de ses reins, de ses hanches & de ses jarrets, pour pousser tout son corps en avant ; en sorte que ses épaules & ses bras étant occupés à soutenir cette action, il se trouve nécessairement sur les épaules, & par conséquent pesant à la main.

Pour mettre un Cheval sur les hanches, & lui ôter le défaut d'être sur les épaules, les Hommes de Cheval ont trouvé un remède dans les leçons, qui sont l'Arrêt, le demi-Arrêt & le Reculer.

De l'arrêt.

L'Arrêt est l'effet que produit l'action que l'on fait en retenant avec la main de la bride la tête du Cheval, & les autres parties de l'avant-main, & en chassant en même temps délicatement les hanches avec les gras de jambes ; en sorte que tout le corps du Cheval se soutienne dans l'équilibre, en demeurant sur ses jambes & sur ses pieds de derrière. Cette action, qui est très utile pour rendre un Cheval léger à la main, & agréable au Cavalier, est bien plus difficile pour le Cheval que celle de tourner, qui lui est plus naturelle.

Pour bien marquer un arrêt, le Cheval doit être un peu animé auparavant, & dans le temps qu'on sent qu'il va plus vite que la cadence de son train, il faut, en le secourant délicatement des gras de jambes, mettre les épaules un peu en arrière, & tenir la bride de plus ferme en plus ferme, jusqu'à ce que l'arrêt soit formé ; c'est-à-dire, jusqu'à ce que le Cheval soit arrêté tout-à-fait. En mettant le corps en arrière, on doit serrer un peu les coudes près du corps, afin d'avoir plus d'assurance dans la main de la bride : il est nécessaire aussi que le Cheval se tienne droit à l'arrêt, afin que cette action se fasse sur les hanches ; car, si l'une des deux jambes de derrière, sort de la ligne des épaules, le Cheval se traversant dans cette action, il ne peut être sur les hanches.

Les avantages qu'on tire d'un arrêt bien fait, sont de rassembler les forces d'un Cheval, de lui assurer la bouche, la tête, les hanches, & de le rendre léger à la main ; mais autant les arrêts sont bons, lorsqu'ils sont faits à propos, autant ils sont pernicieux lorsqu'on les fait à contre-temps. Pour savoir les placer, il faut consulter la nature du Cheval ; car les meilleures leçons, qui n'ont été inventées que pour perfectionner cette nature, feraient un effet contraire, si on en abusait, en les pratiquant mal à propos.

À la première apparence de légèreté pour le trot, & de facilité pour tourner aux deux mains, on commence à marquer des arrêts à un Cheval, mais rarement d'abord, en le retenant petit à petit et doucement : car par un arrêt fait brusquement & tout à coup, comme si d'un seul temps on le plantait sur le cul, on affaiblirait les reins & les jarrets d'un Cheval ; on pourrait même estropier pour toujours un jeune Cheval, qui n'a pas pris encore toute sa force.

Outre les jeunes Chevaux, qu'il ne faut jamais presser ni arrêter trop rudement, il y en a encore d'autres avec lesquels il faut bien ménager l'arrêt, soit par défaut de construction, ou par faiblesse naturelle, ce que nous allons examiner.

1°. Comme la tête est la première partie qu'on doit ramener à l'arrêt, si le Cheval a la ganache trop étroite, il soutiendra difficilement cette action. De même si l'encolure est mal faite, renversée, ce qu'on appelle Encolure de cerf, il s'armera, & l'arrêt deviendra dur et courbé : si les pieds sont faibles ou douloureux, il fuira l'arrêt, & il sera encore plus abandonné sur le devant & sur l'appui de la bride, que si la faiblesse venait des jambes, des épaules ou des hanches.

2°. Les Chevaux longs de corsage & sensibles, sont ordinairement faibles de reins, & forment par conséquent de mauvais arrêts, par la difficulté qu'ils ont de rassembler leurs forces pour se ramener sur les hanches ; ce qui cause en eux plusieurs désordres ; parce que, ou ils refusent de reprendre en avant après l'arrêt ; ou ils vont une espèce de traquenard ou aubin ; ou bien s'ils obéissent, ils s'abandonnent sur la main, pour fuir la sujétion d'un nouvel arrêt.

3°. Les Chevaux ensellés, qui ont le dos faible & enfoncé, placent avec peine leur tête à l'arrêt, parce que la force de la nuque du col dépend de celle des reins ; & quand un Cheval souffre quelque douleur dans ces parties, il le témoigne par une action désagréable de la tête.

4°. Les Chevaux trop sensibles, impatients & colères, sont ennemis de la moindre sujétion, par conséquent de l'arrêt ; & ils ont ordinairement la bouche dure & fausse, parce que l'impatience & la fougue leur ôtent la mémoire, & le sentiment de la bouche, & rend inutiles les effets de la main & des jambes.

5°. Enfin, il y a des Chevaux qui, quoique faibles, s'arrêtent tout court, pour éviter l'arrêt du Cavalier ; & comme ils appréhendent la surprise, ils ne veulent point repartir après ; d'autres de même nature forcent la main, quand ils s'aperçoivent qu'on veut les arrêter. Les uns & les autres doivent être arrêtés rarement, & quand ils ne s'y attendent pas.

L'arrêt n'est donc bon que pour les Chevaux qui ont de bons reins, & assez de vigueur dans les hanches et dans les jarrets, pour soutenir cette action. L'arrêt au trot doit se faire en un seul temps, les pieds de derrière droits, en sorte que l'un n'avance pas plus que l'autre, & sans se traverser, ce qui fait appuyer le Cheval également sur les hanches, mais au galop, dont l'action est plus étendue que celle du trot, il faut arrêter un Cheval en deux ou trois temps, quand les pieds de devant retombent à terre, afin qu'en se relevant, il se trouve sur les hanches ; & pour cela en retenant la main, on l'aide un peu des jarrets ou des gras de jambes, pour le faire falquer ou couler les hanches sous lui.

Il faut remarquer que les Chevaux aveugles s'arrêtent plus facilement que les autres, par l'appréhension qu'ils ont de faire un faux pas.

Du demi-Arrêt.

Le demi-Arrêt est l'action que l'on fait, en retenant la main de la bride près de soi, les ongles un peu en haut sans arrêter tout à fait le Cheval, mais seulement en retenant et soutenant le devant, lorsqu'il s'appuie sur le mors, ou bien lorsqu'on veut le ramener, ou le rassembler.

Nous avons dit ci-dessus, que l'arrêt ne convenait qu'à un très petit nombre de Chevaux parce qu'il s'en trouve très peu, qui aient assez de force dans les reins & dans les jarrets, pour soutenir cette action ; car il faut remarquer que la plus grande preuve qu'un Cheval puisse donner de ses forces & de son obéissance, c'est de former un arrêt ferme & léger après une course de vitesse, ce qui est rare à trouver, parce que pour passer si vite d'une extrémité à l'autre, il faut qu'il ait la bouche et les hanches excellentes, & comme ces arrêts violents peuvent gâter et rebuter un Cheval, on ne les pratique que pour l'éprouver.

Il n'en est pas de même du demi-arrêt, dans lequel on tient un Cheval seulement un peu plus sujet de la main, sans l'arrêter tout à fait. Cette action ne donne pas tant d'appréhension au Cheval, & lui assure la tête & les hanches avec moins de sujétion que l'arrêt ; c'est pour cela qu'il est beaucoup plus utile, pour lui faire la bouche & le rendre plus léger. On peut le répéter souvent, sans rompre l'allure du Cheval, & comme par cette aide, on lui ramène & on lui soutient le devant, on l'oblige par conséquent en même temps de baisser les hanches, qui est ce qu'on demande.

Le demi-arrêt convient donc à toutes sortes de Chevaux ; mais il y a de certaines natures sur lesquelles il faut le ménager. Quand, par exemple, un Cheval se retient de lui-même, on ne lui marque des demi-arrêts, que lorsqu'on veut lui donner de l'appui ; & de peur qu'il ne s'arrête tout à fait à ce mouvement, on le secourt des jarrets, des gras de jambes, & quelquefois même des éperons, suivant qu'il se retient plus ou moins ; mais s'il s'appuie trop sur la main, les demi-arrêts doivent être plus fréquents & marqués seulement de la main de la bride, sans aucune aide des jarrets ni des jambes ; il faut au contraire lâcher les cuisses, autrement il s'abandonnerait davantage sur le devant.

Lorsqu'en marquant un arrêt ou un demi-arrêt, le Cheval continue de s'appuyer sur le mors, de tirer à la main, & quelquefois même de la forcer en allant en avant malgré le Cavalier, il faut alors, après l'avoir arrêté, le reculer pour le châtier de cette désobéissance.

Du Reculer.

La situation de la main de la bride pour reculer un Cheval, est la même que celle de l'arrêt ; en sorte que pour accoutumer un Cheval à reculer facilement, il faut, après l'avoir arrêté, retenir la bride, les ongles en haut, comme si l'on voulait marquer un nouvel arrêt, & lorsqu'il obéit, c'est-à-dire, qu'il recule un ou deux pas, il faut lui rendre la main, afin que les esprits, qui causent le sentiment, reviennent sur les barres; autrement on endormirait & on rendrait insensible cette partie, & le Cheval, au lieu d'obéir, & de reculer, forcerait la main, ou ferait une pointe.

Quoique le reculer soit un châtiment pour un Cheval qui n'obéit pas bien à l'arrêt ; c'est encore un moyen pour le disposer à se mettre sur les hanches ; pour lui ajuster les pieds de derrière ; lui assurer la tête ; & le rendre léger à la main.

Lorsqu'un Cheval recule, une de ses jambes de derrière est toujours sous le ventre ; il pousse la croupe en arrière, & il est dans chaque mouvement, tantôt sur une hanche, tantôt sur l'autre ; mais il ne peut bien faire cette action, & on ne doit la lui demander que lorsqu'il commence à s'assouplir & à obéir à l'arrêt ; parce que les épaules étant libres, on a plus de facilité, pour tirer le devant à soi, que si elles étaient engourdies. Et comme cette leçon fait de la douleur aux reins & aux jarrets, il faut dans les commencements en user modérément.

Quand un Cheval s'obstine à ne vouloir point reculer, ce qui arrive à presque tous les Chevaux qui n'ont point encore pratiqué cette leçon, un homme à pied lui donne légèrement de la pointe de la gaule sur les genoux & sur les boulets, qui sont les deux jointures de la jambe ; pour la lui faire plier ; & dans le même temps le Cavalier tire à soi la main de la bride, & si-tôt qu'il obéit un seul pas en arrière, il faut le flatter et le caresser, pour lui faire connaître, que c'est ce qu'on lui demande. Après avoir fait reculer quelques pas un Cheval difficile, & l'avoir flatté, on doit ensuite le tenir un peu sujet de la main, comme si on voulait le reculer de nouveau, & lorsqu'un sent qu'il baisse les hanches pour se préparer à reculer, il faut l'arrêter & le flatter pour cette action, par laquelle il témoigne qu'il reculera bien-tôt au gré du Cavalier.

Pour reculer un Cheval dans les règles, il faut, chaque pas qu'il fait en arrière, le tenir prêt à reprendre en avant ; car c'est un grand défaut que de reculer trop vite ; le Cheval précipitant ainsi ses forces en arrière, pourrait s'acculer & même faire une pointe, en danger de se renverser, surtout s'il a les reins faibles. Il faut encore qu'il recule droit, sans se traverser, afin de plier les deux hanches également sous lui en reculant.

Lorsqu'un Cheval commence à reculer facilement, la meilleure leçon qu'on puisse lui donner, pour le rendre léger à la main, c'est de ne reculer que les épaules ; c'est-à-dire, ramener doucement le devant à soi, comme si on voulait le reculer ; & lorsqu'on sent qu'il va reculer, il faut lui rendre la main, & remarcher un ou deux pas en avant.

Après avoir arrêté ou reculé un Cheval, il faut lui tirer doucement la tête en dedans pour faire jouer le mors dans la bouche, ce qui fait plaisir au Cheval, & l'accoutume à se plier du côté qu'il va. Cette leçon le prépare aussi à celle de l'épaule en dedans dont nous allons parler dans le Chapitre suivant.

11 De l'Épaule en dedans.

Nous avons dit ci-devant, que le trot est le fondement de la première souplesse & de la première obéissance que l'on doit donner aux Chevaux ; & ce principe est généralement reçu de tous les habiles Écuyers; mais ce même trot, soit sur une ligne droite, soit sur des cercles, ne donne à l'épaule & à la jambe du Cheval qu'un mouvement en avant, lorsqu'il marche sur la ligne droite ; & un peu circulaire de la jambe & de l'épaule de dehors, lorsqu'il va sur le cercle ; mais il ne donne pas une démarche assez croisée d'une jambe par dessus l'autre, qui est l'action que doit faire un Cheval dressé, connaissant les talons, c'est-à-dire, qui va librement de côté aux deux mains.

Pour bien concevoir ceci, il faut faire attention que les épaules et les jambes d'un Cheval ont quatre mouvements. Le premier, est celui de l'épaule en avant, quand il marche droit devant lui. Le deuxième mouvement, est celui de l'épaule en arrière, quand il recule. Le troisième mouvement, c'est lorsqu'il lève la jambe & l'épaule dans une place, sans avancer ni reculer, qui est l'action du piaffer. Et le quatrième, est le mouvement circulaire, & croisé que doivent faire l'épaule & la jambe du Cheval, lorsqu'il tourne étroit, ou qu'il va de côté.

Les trois premiers mouvements s'acquièrent facilement par le trot, l'arrêt & le reculer ; mais le dernier mouvement est le plus difficile, parce que dans cette action le Cheval étant obligé de croiser & de chevaler la jambe de dehors par dessus celle de dedans, si dans ce mouvement le passage de la jambe n'est pas avancé ni circulaire, le Cheval s'attrape la jambe qui pose à terre & sur laquelle il s'appuie, & la douleur du coup peut lui donner une atteinte, ou du moins lui faire faire une fausse position : ce qui arrive souvent aux Chevaux qui ne sont pas assez souples des épaules. La difficulté de trouver des règles certaines, pour donner à l'épaule & à la jambe la facilité de ce mouvement circulaire d'une jambe par dessus l'autre, a toujours embarrassé les Écuyers, parce que sans cette perfection, un Cheval ne peut tourner facilement, ni fuir les talons de bonne grâce.

Afin de bien approfondir la leçon de l'épaule en dedans, qui est la plus difficile & la plus utile de toutes celles qu'on doit employer, pour assouplir les Chevaux ; il faut examiner, ce qu'ont dit M. de la Broue, & M. le Duc de Newcastle, au sujet du cercle qui, selon le dernier, est le seul moyen d'assouplir parfaitement les épaules d'un Cheval.

M. de la Broue dit «que toutes les humeurs & complexions des Chevaux, ne sont pas propres à cette sujétion extraordinaire, de toujours tourner sur des cercles pour les assouplir ; & leurs forces n'étant pas capables de fournir tant de tours tout d'une haleine, ils se rebutent & se raidissent de plus en plus, au lieu de s'assouplir».

M. le Duc de Newcastle s'explique ainsi :

«La tête dedans, la croupe dehors sur un cercle, met d'abord un Cheval sur le devant, il prend de l'appui & s'assouplit extrêmement les épaules, etc.

«Trotter & galoper la tête dedans, la croupe dehors, fait aller tout le devant vers le centre & le derrière s'en éloigne, étant plus pressé des épaules que de la croupe.

«Tout ce qui chemine sur un grand cercle travaille davantage, parce qu'il fait plus de chemin, que tout ce qui chemine sur un plus petit cercle, ayant plus de mouvements à faire, & il faut que les jambes soient plus en liberté, les autres sont plus contraintes & sujettes dans le petit cercle, parce qu'elles portent tout le corps, & celles qui font le plus grand cercle, sont plus longtemps en l'air qu'elles.

«L'épaule ne peut s'assouplir, si la jambe de derrière de dedans n'est avancée & approchée, en travaillant de la jambe de derrière de dehors.»

L'on voit par le propre raisonnement de ces deux grands Hommes, que l'un & l'autre ont admis le cercle ; mais M. de la Broue ne s'en sert pas toujours, & il préfère souvent le carré.

Pour M. le Duc de Newcastle, dont le cercle est la leçon favorite, il convient lui -même des inconvénients qui s'y trouvent, quand il dit que dans le cercle la tête dedans, la croupe dehors, les parties de devant sont plus sujettes & plus contraintes que celles de derrière, & que cette leçon met un Cheval sur le devant.

Cet aveu que l'expérience confirme, prouve évidemment, que le cercle n'est pas le vrai moyen d'assouplir parfaitement les épaules ; puisqu'une chose contrainte & appesantie par son propre poids ne peut être légère ; mais une grande vérité, que cet illustre Auteur admet, c'est que l'épaule ne peut s'assouplir, si la jambe de derrière de dedans n'est avancée & approchée en marchant de la jambe de derrière de dehors. Et c'est cette judicieuse remarque qui m'a fait chercher & trouver la leçon de l'épaule en dedans, dont nous allons donner l'explication.

Lors donc qu'un Cheval saura trotter librement aux deux mains sur le cercle & sur la ligne droite ; qu'il saura sur les mêmes lignes, marcher un pas tranquille & égal ; et qu'on l'aura accoutumé à former des arrêts & demi-arrêts, & à porter la tête en dedans ; il faudra alors le mener au petit pas lent & peu raccourci le long de la muraille, & le placer de manière que les hanches décrivent une ligne, & les épaules une autre. La ligne des hanches doit être près de la muraille, & celle des épaules, détachée & éloignée du mur environ un pied & demi ou deux, en le tenant plié à la main où il va. C'est-à-dire, pour m'expliquer plus familièrement, qu'au lieu de tenir un Cheval tout-à-fait droit d'épaules & de hanches sur la ligne droite le long du mur, il faut lui tourner la tête & les épaules un peu en dedans vers le centre du manège, comme si effectivement, on voulait le tourner tout-à-fait, & lorsqu'il est dans cette posture oblique & circulaire, il faut le faire marcher en avant le long du mur, en l'aidant de la rêne & de la jambe de dedans : ce qu'il ne peut absolument faire dans cette attitude, sans croiser ni chevaler la jambe de devant de dedans par dessus celle de dehors, & de même la jambe de derrière de dedans par dessus celle de derrière de dehors ; comme il est aisé de le voir dans la Fig. de l'épaule en dedans, qui est au commencement de ce Chapitre, & dans le plan de terre de la même leçon, qui rendront la chose encore plus sensible.

Cette leçon produit tant de bons effets à la fois, que je la regarde comme la première & la dernière de toutes celles qu'on peut donner au Cheval, pour lui faire prendre une entière souplesse, & une parfaite liberté dans toutes ses parties. Cela est si vrai, qu'un Cheval qui aura été assoupli suivant ce principe, & gâté après ou à l'École, ou par quelque ignorant ; si un Homme de Cheval le remet pendant quelques jours à cette leçon, il le retrouvera aussi souple & aussi aisé qu'auparavant.

Premièrement, cette leçon assouplit les épaules, parce que la jambe de devant de dedans, croisant & chevalant à chaque pas que le Cheval fait dans cette attitude, en avant par dessus celle de dehors ; & le pied de dedans allant se poser au dessus du pied de dehors, & sur la ligne de ce même pied, le mouvement auquel l'épaule est obligée dans cette action, fait agir nécessairement les ressorts de cette partie, ce qui est facile à concevoir.

2°. L'épaule en dedans prépare un Cheval à se mettre sur les hanches, parce qu'à chaque pas qu'il fait dans cette posture, il porte en avant sous le ventre la jambe de derrière de dedans, & va la placer au dessus de celle de derrière de dehors, ce qu'il ne peut faire sans baisser la hanche : il est donc toujours sur une hanche à une main, & toujours sur l'autre hanche à l'autre main, & par conséquent il apprend à plier les jarrets sous lui ; c'est ce qu'on appelle être sur les hanches.

3°. Cette même leçon dispose un Cheval à fuir les talons ; parce qu'à chaque mouvement, étant obligé de croiser & de passer les jambes l'une par dessus l'autre, tant celles de devant que celles de derrière, il acquiert, par-là, la facilité de bien chevaler les bras & les jambes aux deux mains, ce qu'il faut qu'il fasse, pour aller librement de côté. En sorte que lorsqu'on mène un Cheval l'épaule en dedans à main droite, on le prépare à fuir les talons à main gauche, parce que c'est l'épaule droite qui s'assouplit dans cette posture ; & lorsqu'on lui met l'épaule en dedans à main gauche, c'est l'épaule gauche qui s'assouplit, & qui le prépare à bien passer la jambe gauche pour aller facilement de côté à main droite.

Pour changer de main dans la leçon de l'épaule en dedans : par exemple, de droite à gauche, il faut conserver le pli de la tête & du col ; & en quittant le mur, faire marcher le Cheval droit d'épaules & de hanches sur une ligne oblique jusqu'à ce qu'il soit arrivé dans cette posture sur la ligne de l'autre muraille ; & là, il faudra lui placer la tête à gauche & les épaules en dedans, & détachées de la ligne de la muraille, en l'élargissant et lui faisant croiser les jambes de dedans à cette main par dessus celle de dehors, le long du mur, & de la même manière que nous venons de l'expliquer pour la droite.

Comme le Cheval manquera dans l'exécution des premières leçons de l'épaule en dedans, soit en mettant la croupe dedans, soit au contraire, en tournant trop les épaules en dedans, & en quittant la ligne de la muraille, pour éviter la sujétion de passer & de croiser ses jambes dans une posture qui lui tient tous les muscles dans une continuelle contraction, ce qui le gêne, quand il n'y est pas accoutumé, le cercle alors doit servir de remède à ces défenses. On le mènera donc au petit pas sur un cercle large, & on lui dérobera de temps en temps des pas croisés des jambes de dedans par dessus celles de dehors ; en sorte qu'en élargissant le cercle de plus en plus, insensiblement on arrivera sur la ligne de la muraille, & le Cheval se trouvera dans la posture de l'épaule en dedans ; & dans cette attitude, on lui fera faire quelques pas en avant le long du mur : ensuite on l'arrêtera, on lui pliera le col & la tête, en faisant jouer le mors dans la bouche avec la rêne de dedans ; on le flattera ; & on le renverra.

S'il arrive qu'un Cheval se retienne & qu'il se défende par malice, ne voulant point se rendre à la sujétion de cette leçon ; il faudra la quitter pour quelque temps, & revenir au premier principe du trot étendu & hardi, tant par la ligne droite que sur des cercles ; & lorsqu'il obéira, on le remettra au pas l'épaule en dedans sur la ligne de la muraille ; & s'il va bien quelques pas, il faut l'arrêter, le flatter & le descendre.

Lorsque le Cheval commencera à obéir aux deux mains à la leçon de l'épaule en dedans, on lui apprendra à bien prendre les coins, ce qui est le plus difficile de cette leçon. Pour cela, il faudra à chaque coin, c'est-à-dire au bout de chaque ligne droite, faire entrer les épaules dans le coin, lui conservant la tête placée en dedans ; & dans le temps qu'on tourne les épaules sur l'autre ligne, il faut faire passer les hanches à leur tour dans le coin par où les épaules ont passé. C'est avec la rêne de dedans, et la jambe de dedans qu'on porte le Cheval en avant dans les coins, mais dans le temps qu'on le tourne sur l'autre ligne, il faut que ce soit avec la rêne de dehors, en portant la main en dedans, & prendre le temps qu'il ait la jambe de dedans en l'air et prête à retomber, afin qu'en tournant la main dans ce temps-là, l'épaule de dehors puisse passer par dessus celle de dedans ; & comme l'aide de tourner, est une espèce de demi-arrêt, il faut, en tournant la main, le chasser un peu en avant avec les gras de jambes. Si le Cheval refuse de passer la croupe dans les coins, en se tenant large de derrière et en se cramponnant sur la jambe de dedans (défense la plus ordinaire des Chevaux) il faudra la pincer du talon de dedans en même temps qu'on tournera les épaules sur l'autre ligne. Voilà, selon moi, ce qu'on appelle, Prendre les coins, & non pas comme font la plupart des Cavaliers, qui se contentent de faire entrer la tête et les épaules dans le coin &, négligent d'y passer la croupe ; de manière que le Cheval tourne tout d'une pièce ; au lieu qu'en y faisant passer les hanches après les épaules, le Cheval dans ce passage d'épaules et de hanches, s'assouplit non-seulement ces deux parties ; mais encore les côtes, dont la souplesse augmente beaucoup l'agilité des ressorts au reste de son corps.

Si l'on examine la structure & la mécanique du Cheval, on sera aisément persuadé de l'utilité de l'épaule en dedans ; & l'on conviendra que les raisons que j'apporte, pour autoriser ce principe, sont tirées de la nature même, qui ne se dément jamais, quand on ne la contraint pas au delà de ses forces. Et en même temps, si l'on fait attention à l'action des jambes du Cheval, qui va sur un cercle la tête dedans la croupe de dehors, il sera aisé de concevoir, que ce sont les hanches qui acquièrent cette souplesse, que l'on prétend donner aux épaules par le moyen du cercle, puisqu'il est certain que la partie qui fait un plus grand mouvement, est celle qui s'assouplit le plus. J'admets donc le cercle pour donner aux Chevaux la première souplesse, & aussi pour châtier & corriger ceux qui se défendent par malice, en mettant la croupe dedans, malgré le Cavalier ; mais je regarde ensuite l'épaule en dedans, comme une leçon indispensable pour achever d'assouplir les épaules, & leur donner la facilité de passer librement les jambes l'une par dessus l'autre ; qui est une perfection que doivent avoir tous les Chevaux qu'on appelle bien mis & bien dressés.

12 De la Croupe au mur.

Ceux qui mettent la tête d'un Cheval vis-à-vis du mur, pour lui apprendre à aller de côté, tombent dans une erreur, dont il est facile de faire voir l'abus. Cette méthode le fait plutôt aller par routine que pour la main & les jambes ; et lorsqu'on l'ôte de la muraille, et qu'on veut le ranger de côté dans le milieu du manège, n'ayant plus alors d'objet qui lui fixe la vue, il n'obéit qu'imparfaitement à la main & aux jambes, qui sont les seuls guides dont on doive se servir, pour conduire un Cheval dans toutes ses allures. Un autre désordre qui naît de cette leçon ; c'est qu'au lieu de passer la jambe de dehors par dessus celle de dedans, souvent il la passe par dessous, dans la crainte de s'attraper avec le fer la jambe qui est à terre, ou de se heurter le genou contre le mur, dans le temps qu'il lève la jambe & qu'il la porte en avant pour la passer par dessus l'autre.

M. de la Broue est de ce sentiment, quand il conseille de ne se servir de la muraille, pour faire fuir les talons aux Chevaux, que pour ceux qui pèsent ou qui tirent à la main : & bien loin de leur placer la tête si près du mur, il dit, qu'il faut tenir le Cheval deux pas en deçà de la muraille ; ce qui fait environ cinq pieds de distance de la tête du Cheval au mur.

Je ne vois donc pas pourquoi tant de Cavaliers, pour faire connaître les talons à un Cheval, lui mettent la tête au mur, en le forçant d'aller de côté avec la jambe, l'éperon, & même la chambrière, qu'ils font tenir par un homme à pied : Il est bien plus sensé, selon moi, pour éviter cet embarras & les désordres qui peuvent en arriver, de lui mettre la croupe au mur. Cette leçon est tirée de l'épaule en dedans.

Nous avons dit dans le Chapitre précédent, qu'en menant un Cheval l'épaule en dedans à main droite, on lui assouplissait l'épaule droite, ce qui donne la facilité à la jambe droite, lorsqu'il va de côté à main gauche, de chevaler par dessus la jambe gauche ; & de même en le travaillant l'épaule en dedans à gauche, c'est l'épaule de ce côté qui s'assouplit, & qui donne à la même jambe le mouvement qu'elle doit avoir pour chevaler librement par dessus la droite, lorsqu'on mène un Cheval de côté à main droite. Suivant ce principe, qui est incontestable, il est aisé de convertir l'épaule en dedans en croupe au mur. On s'y prend de cette manière.

Lorsqu'un Cheval est obéissant aux deux mains à la leçon de l'épaule en dedans, & qu'il sait par conséquent passer librement les jambes de dedans par dessus celles de dehors ; il faut, en le travaillant, par exemple à droite, après l'avoir tourné dans le coin à un des bouts du manège, l'y arrêter, la croupe vis-à-vis et environ à deux pieds de distance de la muraille, de peur qu'il ne se frotte la queue contre le mur ; & au lieu de continuer d'aller en avant, il faut le retenir de la main & le presser de la jambe gauche, pour lui dérober quelque temps de côté sur le talon droit; & s'il obéit deux ou trois pas, l'arrêter & le flatter, pour lui faire connaître que c'est-là ce qu'on lui demande.

Comme la nouveauté de cette leçon embarrasse un Cheval les premiers jours qu'on la lui fait pratiquer, il faut dans les commencements, le mener les rênes séparées & très doucement, afin de pouvoir mieux retenir les épaules, & ne point chercher à le plier, mais lui donner seulement une simple détermination pour aller de côté, sans observer de justesse. Si-tôt qu'il fuira la jambe deux ou trois pas sans hésiter, il faudra l'arrêter un peu de temps, le flatter, & reprendre ensuite de côté, en continuant toujours de l'arrêter & de le flatter, pour le peu qu'il obéisse, jusqu'à ce qu'enfin il soit arrivé dans cette posture au bout de la ligne, le long du mur, & à l'autre coin du manège. Après l'avoir laissé reposer quelque temps dans la place où il a fini, on revient ensuite à gauche sur la même ligne, en se servant de la jambe droite pour le faire aller de côté, & observer la même attention, qui est de le flatter dès qu'il aura obéi trois ou quatre pas de bonne volonté, & continuer ainsi jusqu'à ce qu'il soit arrivé au coin d'où l'on est parti d'abord.

Si le Cheval refuse absolument de fuir les talons à l'une des deux mains, c'est une preuve qu'il n'a pas été assez assoupli à l'autre main : Et alors il faut le remettre l'épaule en dedans ; c'est-à-dire, que si le Cheval refuse, par exemple, de fuir le talon gauche, la croupe au mur, qui est l'aide qu'on donne pour aller de côté à droite, il le faut remettre l'épaule en dedans à gauche, jusqu'à ce qu'il passe facilement la jambe gauche par dessus la droite : Et afin qu'il se trouve, sans s'en apercevoir, aller de côté la croupe au mur à droite, qui est la main où nous supposons qu'il est rebelle, on lui tourne la tête & les épaules de plus en plus en dedans, jusqu'à ce qu'elles soient vis-à-vis de la croupe

la jambe gauche, comme s'il allait toujours l'épaule en dedans à gauche, il se trouvera aller de côté à droite. De même, si le Cheval refuse de fuir le talon droit, qui est aller de côté à gauche, il faudra le mener l'épaule en dedans à droite, & insensiblement en tournant les épaules fort en dedans, et jusqu'à ce qu'elles se trouvent vis-à-vis la croupe, le Cheval se trouvera fuir le talon, & aller par conséquent de côté à main gauche.

Suivant ce que nous venons d'expliquer, il est aisé de remarquer que ce qu'on appelle épaule en dedans à une main, devient épaule de dehors lorsqu'on met la croupe au mur ; parce que la même épaule continue son mouvement, quoique le Cheval aille à l'autre main. Mais comme dans la posture de la croupe au mur, le Cheval allant de côté doit être presque droit d'épaules & de hanches, l'action de l'épaule est alors plus circulaire, & par conséquent le mouvement est plus pénible & plus difficile à faire au Cheval, que celui qu'il fait l'épaule en dedans. Un peu d'attention fera aisément concevoir cette différence, & prouvera en même temps évidemment, qu'un des avantages de l'épaule en dedans, est d'apprendre à un Cheval, à bien passer & à chevaler librement ses jambes l'une par dessus l'autre, & que c'est un remède à toutes les fautes qu'il peut faire, quand on lui apprend à fuir les talons.

Lorsque le Cheval commence à obéir & à aller librement de côté aux deux mains la croupe au mur, il faut le placer dans la posture où il doit être pour fuir les talons avec grâce ; ce qui se fait en observant trois choses essentielles.

La première c'est le faire marcher les épaules avant les hanches ; autrement le mouvement circulaire de la jambe & de l'épaule de dehors, qui fait voir la grâce & la souplesse de cette partie, ne se trouverait plus : Il faut tout au moins que la moitié des épaules marche avant la croupe ; en sorte que (supposant, par exemple, qu'on aille à droite) la position du pied droit de derrière soit sur la ligne du pied gauche de devant, comme on le peut voir dans le plan de terre. Car si la croupe marche avant les épaules, le Cheval est entablé, & la jambe de derrière de dedans, marchant & se plaçant plus avant que celle de devant du même côté, rend le Cheval plus large du derrière que du devant, & par conséquent sur les jarrets ; car pour être sur les hanches, un Cheval, en marchant, doit être étréci de derrière.

La seconde attention qu'on doit avoir, lorsqu'un Cheval commence à aller librement de côté la croupe au mur, c'est de le plier à la main où il va. Un beau pli donne de la grâce à un Cheval, lui attire l'épaule du dehors & en rend l'action libre & avancée. Pour 1'accoutumer à se plier à la main où il va, il faut, à la fin de chaque ligne de la croupe au mur, après l'avoir arrêté, lui tirer la tète avec la rêne de dedans en faisant jouer le mors dans la bouche ; et lorsqu'il cède à ce mouvement, le flatter avec la main du côté qu'on l'a plié. On doit observer la même chose en finissant à l'autre main sur l'autre talon ; & par ce moyen le Cheval prendra peu à peu l'habitude de marcher plié, & de regarder son chemin en allant de côté.

La troisième chose qu'on doit encore observer dans cette leçon, c'est de faire en sorte que le Cheval décrive les deux lignes ; savoir, celle des épaules & celle des hanches, sans avancer ni reculer, en sorte qu'elles soient parallèles. Comme cela vient en partie du naturel du Cheval, il arrive ordinairement que ceux qui sont pesants ou qui tirent à la main, sortent de la ligne en allant trop en avant ; c'est pourquoi il faut retenir ceux-ci de la main de la bride, sans aider des jambes. Il faut, au contraire, chasser en avant ceux qui ont la mauvaise habitude de se retenir & de s'acculer, en se servant des jarrets, des gras de jambes, & quelquefois même des éperons, suivant qu'ils se retiennent plus ou moins. Avec ces précautions on maintiendra les uns & les autres dans l'ordre & dans l'obéissance de la main & des jambes.

De peur qu'un Cheval, en allant de côté, ne tombe dans le défaut de se traverser & de pousser ou de se jeter sur un talon ou sur l'autre, malgré l'aide du Cavalier ; il faut à la fin de chaque reprise, le mener droit dans les talons d'une piste, sur la ligne du milieu de la place : on lui apprend aussi sur la même ligne à reculer droit dans la balance des talons.

Quoique la leçon de l'épaule en dedans & celle de la croupe au mur, qui doivent être inséparables, soient excellentes pour donner à un Cheval la souplesse, le beau pli, & la belle posture dans laquelle un Cheval doit aller, pour manier avec grâce & avec légèreté ; il ne faut pas pour cela, abandonner la leçon du trot sur la ligne droite & sur les cercles : ce sont les premiers principes auxquels il faut toujours revenir pour l'entretenir et le confirmer dans une action hardie & soutenue d'épaules & de hanches. Par ce moyen on divertit un Cheval & on le délasse de la sujétion dans laquelle on est obligé de le tenir, lorsqu'il est dans l'attitude de l'épaule en dedans & de la croupe au mur. Voici l'ordre qu'il faut observer pour mettre à profit ces leçons.

De trois petites reprises que l'on fera chaque jour, & chaque fois que l'on montera un Cheval qui sera avancé au point d'exécuter ce que nous avons dit dans ce Chapitre ; la première doit se faire au pas l'épaule en dedans, & après deux changements de main qui doivent se faire d'une piste (car il ne faut point encore aller de côté) on lui met la croupe au mur aux deux mains, & on le finit droit et d'une piste au pas sur la ligne du milieu du manège. La deuxième reprise doit se faire au trot hardi, soutenu, et d'une piste ; & on finit dans la même action sur la ligne du milieu de la place, sans lui mettre la croupe au mur. La troisième & dernière reprise, il faut le remettre l'épaule en dedans au pas, ensuite la croupe au mur, et toujours le finir droit par le milieu. En mariant ainsi ensemble ces trois leçons d'épaule en dedans, de trot, & de croupe au mur, on verra venir de jour en jour, & augmenter la souplesse et l'obéissance d'un Cheval, qui sont, comme nous l'avons dit, les deux premières qualités qu'il doit avoir pour être dressé.

13 De l'utilité des Piliers.

Les Piliers sont de l'invention de M. de Pluvinel, qui eut l'honneur de mettre Louis XIII à cheval. Il nous a laissé un Traité de Cavalerie dont les Planches sont estimées des Curieux par rapport à la gravure & à l'habillement des Seigneurs de la Cour de ce Prince.

M. le Duc de Newcastle n'est point pour les piliers. Il dit «qu'on y estrapasse & qu'on y tourmente mal à propos un Cheval pour lui faire lever le devant, espérant par-là le mettre sur les hanches. Que cette méthode est contre l'ordre, & rebute tous les Chevaux. Que les piliers mettent un Cheval sur les jarrets ; parce que, quoiqu'il plie les jarrets, il n'avance pas les hanches sous lui pour garder l'équilibre, soutenant son devant sur les cordes du caveçon.»

Ce qui a si fort révolté cet illustre Auteur contre l'usage des piliers ; c'est que de son temps la plupart des Écuyers se servaient de cette méthode pour faire lever d'abord le devant à un Cheval, avant qu'il fût réglé au piaffer : par ce moyen ils mettaient sans doute un Cheval sur les jarrets, & lui apprenaient plutôt à se cabrer & à faire des pointes, qu'à lever le devant de bonne grâce : mais si dans les commencements, au lieu de songer à détacher un Cheval de terre, on se sert des piliers pour lui apprendre à passager dans une place sans avancer, reculer, ni se traverser, qui est l'action du piaffer on verra que cette cadence plus aisée à donner dans les piliers qu'en liberté, met le Cheval dans une belle posture, lui donne une démarche noble & relevée ; & lui rend le mouvement des épaules libre & hardi, & les ressorts des hanches doux & liants : toutes ces qualités sont recherchées pour un Cheval de parade & pour former un beau passage. Mais comme il faut beaucoup d'art, de patience & de temps, pour régler un Cheval dans cet air de passage fier & relevé, que donnent les piliers employés avec intelligence, il n'est pas étonnant qu'ils causent tant de désordres à ceux qui s'en servent dans une autre vue, que de parvenir d'abord au piaffer.

Un savant Écuyer a dit avec raison, que les piliers donnent de l'esprit aux Chevaux ; parce que la crainte du châtiment réveille & tient dans une action brillante ceux qui sont endormis & paresseux, mais les piliers ont encore l'avantage d'apaiser ceux qui sont d'un naturel fougueux & colère ; parce que l'action du piaffer, qui est un mouvement écouté, soutenu, relevé & suivi, les oblige de prêter attention à ce qu'ils font : c'est pourquoi je regarde les piliers comme un moyen, non-seulement de découvrir la ressource, la vigueur, la gentillesse, la légèreté & la disposition d'un Cheval ; mais encore comme un moyen de donner ces dernières qualités à ceux qui en sont privés.

La première attention qu'on doit avoir dans les commencements, en mettant un Cheval dans les piliers, c'est d'attacher les cordes du caveçon égales & courtes, de façon que les épaules du Cheval soient de niveau avec les piliers, & qu'il n'y ait que la tête & l'encolure, qui soient au delà, par ce moyen il ne pourra passer la croupe par dessous les cordes du caveçon, ce qui arrive quelquefois. Il faut ensuite se placer avec la chambrière, derrière la croupe, & assez éloigné pour n'être point à portée d'être frappé : le faire ensuite ranger à droite & à gauche en donnant de la chambrière par terre, & quelquefois légèrement sur la fesse. Cette manière de faire ranger un Cheval de côté & d'autre, lui apprend à passer les jambes, le débrouille & lui donne la crainte du châtiment. Quand il obéira à cette aide, il faudra le chasser en avant, & dans le temps qu'il donne dans les cordes, l'arrêter & le flatter, pour lui faire connaître que c'est là ce qu'on lui demande ; & il ne faut point lui demander autre chose, jusqu'à ce qu'il soit confirmé dans l'obéissance de se ranger à droite & à gauche, & d'aller en avant pour la chambrière suivant la volonté du Cavalier.

Il y a des Chevaux d'un naturel fougueux & malin qui, avant de se ranger pour la chambrière & d'aller en avant dans les cordes, emploient toutes les défenses que leur malice peut suggérer. Les uns pleins d'inquiétude, trépignent au lieu de piaffer ; les autres font des pointes & des élans dans les cordes ; d'autres redoublent de fréquentes ruades ; & reculent ou se jettent contre les piliers. Mais comme la plupart de ces désordres viennent le plus souvent de l'impatience de celui qui les châtie mal à propos dans ces commencements, que du naturel du Cheval ; il est aisé d'y remédier en se contentant simplement, comme nous venons de le dire, de le faire ranger et aller en avant pour la chambrière, qui est la seule obéissance qu'on doive exiger d'un Cheval les premières fois qu'on le met dans les piliers.

Une autre attention nécessaire, c'est de faire ruer dans les piliers les Chevaux qui ont la croupe engourdie, & qui n'ont point de mouvement dans les hanches. Cette action leur dénoue les jarrets, & leur fait déployer les hanches, donne du jeu à la croupe, & met tous les ressorts de cette partie en mouvement. Tout le monde n'est pas de cet avis, & la plupart disent, qu'il ne faut jamais apprendre à un Cheval à ruer. Mais l'expérience fait voir qu'un Cheval, qu'on n'a jamais fait ruer, a les hanches raides & les traîne en maniant : d'ailleurs, il est bien aisé de leur ôter ce défaut, qui en serait un effectivement, si on les accoutumait à ruer par malice ; mais lorsqu'on trouvera les hanches assez dénouées, il faudra les empêcher de ruer en les châtiant de la gaule devant, lorsqu'ils feront cette action, quand on ne l'exigera pas.

Quand le Cheval cessera de se traverser, qu'il donnera en avant & droit dans les cordes, il faudra alors l'animer de la langue & de la chambrière pour lui tirer quelque cadence de trot en place, droit & dans le milieu des cordes, qui est ce qu'on appelle piaffer ; & aussi-tôt le flatter & le détacher, pour ne pas le rebuter. S'il continue pendant quelques jours d'obéir à cette leçon, il faudra allonger les longes du caveçon en sorte que les piliers soient vis-à-vis le milieu du corps du Cheval, afin qu'il ait la liberté de donner mieux dans les cordes, et qu'il puisse lever les jambes avec plus de grâce & de facilité. Quoiqu'il continue de bien faire, on ne doit pas pour cela faire de longues reprises, jusqu'à ce qu'il soit accoutumé à obéir sans colère ; & alors il faudra les faire aussi longues que sa disposition, ses forces & son haleine le permettront ; & cela sans le secours de la chambrière, le Cavalier se tenant seulement derrière la croupe.

Pour l'accoutumer à piaffer ainsi sans l'aide de la chambrière ni de la voix, on lui laissera finir sa cadence de lui-même, en demeurant derrière lui comme immobile, sans faire aucun mouvement, ni appeler de la langue, jusqu'à ce qu'il ait cessé tout-à-fait ; & justement quand il cesse d'aller, il faut lui appliquer de la chambrière vivement sur la croupe & sur les fesses : ce châtiment met toute la nature en mouvement, & tient le Cheval dans la crainte, de manière que quand il sera accoutumé à cette leçon, on pourra rester derrière lui autant de temps qu'on le jugera à propos, sans l'aider ; & il continuera de piaffer. Quand on voudra l'arrêter, on l'avertira de la voix, en l'accoutumant au terme de Holà, & on se retirera de derrière la croupe ; on ira le flatter ; & on le renverra : mais cette leçon ne doit se pratiquer que lorsqu'un Cheval commence à bien connaître ce qu'on lui demande ; qu'il ne se traverse plus; & ne se défend plus.

Lorsque le Cheval sera confirmé dans cet air de piaffer, que produit le passage entre les piliers, il faudra alors, & non plutôt, commencer à le détacher de terre, lui faisant lever quelque temps de pesades & de courbettes, en touchant légèrement de la gaule devant, et l'animant de la chambrière par derrière. Non-seulement la courbette est un bel air, mais elle fait que le Cheval est plus relevé dans son devant, & a une action d'épaule plus soutenue au piaffer ; ce qui l'empêche de trépigner, action désagréable qui fait que le Cheval bat la poussière avec des temps précipités ; au lieu que le piaffer est une action d'épaule, soutenue & relevée, avec le bras de la jambe qui est en l'air, haut & plié au genou ; ce qui donne beaucoup de grâce à un Cheval. Afin que le Cheval ne se lève pas sans attendre la volonté du Cavalier (ce qui produirait des sauts désordonnés, sans règle ni obéissance), il faut toujours commencer et finir chaque reprise par le piaffer, en sorte qu'il lève quand on veut, & qu'il piaffe de même. Par là on évitera la routine, qui est le défaut des Écoles mal réglées.

Comme il y a du danger à monter un Cheval dans les piliers lorsqu'il n'y est pas encore accoutumé, il ne faut pas y exposer un Cavalier avant que le Cheval soit dressé & fait à l'obéissance qu'on en exige, suivant les principes que nous venons de décrire. Et même lorsqu'on commence à le monter dans les piliers, on continue les mêmes pratiques, dont on s'est servi avant que le Cavalier fût dessus ; c'est-à-dire, qu'il faut le ranger à droite & à gauche, en le secourant des jambes pour le faire donner dans les cordes. Insensiblement, il s'accoutumera à piaffer pour la main & les jambes, comme il a fait auparavant pour la chambrière.

Les Amateurs de Cavalerie en Espagne, ont une grande idée du piaffer, & estiment beaucoup les Chevaux qui vont à cet air, & qu'ils appellent Piffadores; mais ils donnent à leurs Chevaux une allure incommode & dégingandée, parce qu'ils ne leur assouplissent point les épaules, & ne leur font point connaître les talons, ce qui est cause qu'ils ne manient que du bras, n'ont point l'appui de la bouche ferme & léger ; & qu'ils ne sont point dans la balance des talons, & par conséquent dans la parfaite obéissance pour la main & les jambes ; ce qui est la perfection de l'air du piaffer.

14 Du Passage.

Après avoir donné à un Cheval la première souplesse par le moyen du trot d'une piste, sur la ligne droite & sur les cercles, l'avoir arrondi, & lui avoir appris à passer ses jambes dans la posture circulaire de l'épaule en dedans ; l'avoir rendu obéissant aux talons la croupe au mur ; & rassemblé au piaffer dans les piliers ; lesquelles leçons renferment la souplesse & l'obéissance qui sont, comme nous l'avons dit, les deux premières qualités qu'on doit donner à un Cheval pour le dresser ; après cela, dis-je, il faut songer à l'ajuster, c'est-à-dire, le régler & le faire manier juste dans l'air, où sa disposition permettra qu'on le mette.

Le passage est la première allure qui regarde la justesse. Nous en avons donné la définition dans le Chapitre des Allures artificielles, et nous avons dit que c'est un trot ou un pas raccourci, mesuré & cadencé; que dans ce mouvement le Cheval doit soutenir les jambes qui sont en l'air, l'une devant, l'autre derrière, croisées & opposées comme au trot, mais beaucoup plus raccourci, plus soutenu & plus écouté que le trot ordinaire; & qu'il ne doit pas avancer ni poser la jambe qui est en l'air, plus d'un pied au delà de celle qui est à terre, à chaque pas qu'il fait. Cette allure, qui rend un Cheval patient & lui fortifie la mémoire, est très noble, & fait beaucoup paraître un Officier un jour de revue ou de parade. L'action du Cheval au passage est la même qu'au piaffer ; en sorte que pour avoir une idée juste de l'un & de l'autre, ii faut regarder le piaffer comme un passage dans une place sans avancer ni reculer ; & le passage est, pour ainsi dire, un piaffer, dans lequel le Cheval avance environ d'un pied à chaque mouvement. Dans le piaffer, le genou de la jambe de devant qui est en l'air, doit être de niveau avec le coude de la même jambe ; laquelle jambe doit être pliée de manière, que la pince du pied se lève à la hauteur du milieu du genou de la jambe qui pose à terre : celle de derrière ne doit pas se lever si haut, autrement le Cheval ne serait pas sur les hanches, mais seulement la pince du pied qui est en l'air à la hauteur du milieu du canon de l'autre jambe. A l'égard du passage ; comme le mouvement est plus avancé que celui du piaffer, la jambe de devant ne doit pas se lever si haut ; mais seulement la pince du pied qui est en l'air à la hauteur du milieu du canon de la jambe qui pose à terre ; & celle de derrière un peu au dessus du boulet de l'autre jambe.

Il y a plusieurs choses à observer dans le passage ; savoir, la posture dans laquelle doit être un Cheval lorsqu'il passage, soit d'une piste, soit de deux pistes ; la cadence ou la mesure dans laquelle il doit passager ; & les aides du Cavalier pour l'ajuster à cet air.

Les plus habiles Écuyers conviennent, qu'une des principales choses qui met un Cheval dans une belle attitude, c'est le beau pli qu'on lui donne en maniant ; mais ce beau pli est expliqué différemment par les habiles Maîtres de l'Art. Les uns veulent qu'un Cheval soit simplement plié en arc, qui n'est qu'un demi-pli, dans lequel le Cheval regarde seulement d'un œil dans la volte ; les autres veulent qu'il fasse le demi-cercle, c'est-à-dire qu'il regarde presque des deux yeux en dedans de la ligne. Il faut convenir que dans l'un & l'autre pli, le Cheval a de la grâce ; mais selon moi, le pli en arc, qui n'est qu'un demi-pli, ne contraint pas tant un Cheval, & le tient plus relevé du devant que dans celui où il est plus plié : & dans cette dernière posture, la plupart des Chevaux sont encapuchonnés, c'est-à-dire, baissent trop le nez & courbent l'encolure.

Ceux qui admettent le demi pli mènent leurs Chevaux droits d'épaules & de hanches, ou tiennent seulement une demi-hanche dedans ; & ceux qui veulent un plus grand pli, tiennent les hanches autant en dedans que la tête, ce qui forme un demi-cercle de la tête à la queue ; & c'est ce qu'on appelle les deux bouts dedans. Cette attitude fait paraître le Cheval plus sur les hanches, parce qu'il est plus étréci du derrière.

On peut admettre ces différentes postures, en les appliquant diversement, suivant la différente structure de chaque Cheval. Il se trouve peu de Chevaux bien proportionnés de tout leur corps : les uns sont trop courts de reins, & les autres trop longs de corsage.

Ceux qui sont bien proportionnés, c'est-à-dire, ni trop courts ni trop longs de reins, doivent être menés la demi-hanche dedans. Pour cela, on tient la hanche de dehors un peu en dedans, en sorte qu'au lieu que les hanches soient tout-à-fait droites sur la ligne des épaules, le pied de dehors de derrière doit se poser sur la place de celui de dedans, ce qui fait que la moitié des hanches se trouve en dedans ; & c'est-là ce qu'on appelle proprement la demi-hanche dedans. Cette posture est très belle & convient à merveille aux Chevaux bien moulés & qui portent beau d'eux-mêmes.

On doit tenir les Chevaux courts de reins, droits d'épaules & de hanches avec un demi-pli seulement, qui les fasse regarder d'un œil en dedans ; car si on les mettait dans une posture plus raccourcie, en les pliant trop et leur tenant les hanches dedans, ils seraient trop contraints, & ils n'auraient pas un beau mouvement d'épaule ; parce que la plupart des Chevaux de cette structure, retiennent ordinairement leurs forces, & par conséquent il faut leur donner un passage plus libre & plus avancé, qu'à ceux qui distribuent naturellement leurs forces.

Dans le passage les deux bouts dedans, la tête est placée fort en dedans, & les hanches sont mises autant en dedans que la tête, en sorte que le Cheval est arrondi de tout son corps & forme un demi-cercle. Cette attitude a été inventée pour raccourcir & faire paraître sur les hanches les Chevaux qui sont trop longs de corsages et d'encolure, & qui n'auraient pas tant de grâce, & ne pourraient pas si bien se rassembler si on les menait tout-à-fait d'une piste. Cette posture n'est autre chose que la croupe au mur renversée, c'est-à-dire, qu'au lieu de faire aller un Cheval de côté la croupe au mur avec les épaules en dedans du manège, dans les deux bouts dedans, on met les épaules vis-à-vis du mur & la croupe vers le centre, en sorte qu'il va presque de deux pistes.

Après avoir examiné laquelle des trois postures ci-dessus, convient mieux au Cheval, suivant son naturel & sa structure, il faut ensuite régler la cadence de son air. On doit entendre par la cadence du passage d'un Cheval, un mouvement de trot raccourci, soutenu du devant & continué d'une mesure égale sans le retenir ni le presser trop. Ce mouvement, qu'il est aussi difficile de donner à un Cheval que de l'y entretenir en marchant, dépend de l'accord des aides du Cavalier, & aussi de la souplesse & de l'obéissance du Cheval ; c'est pourquoi il ne faut point passager un Cheval dans une justesse si recherchée, qu'auparavant il ne soit assoupli de tout son corps & réglé au piaffer dans les piliers. Cette pratique est le modèle du beau passage ; & quoiqu'un Cheval soit assez avancé pour lui demander des leçons de justesse, il ne faut jamais se départir des premières leçons, dans lesquelles on ne saurait trop le confirmer. Il faut donc toutes les fois qu'on monte un Cheval, quelque avancé qu'il soit, de trois reprises, lui en demander du moins une l'épaule en dedans, suivie de la croupe au mur, & quelquefois même, suivant l'occasion, le remettre au trot.

Pour entretenir un Cheval dans ce beau mouvement de passage, que produit l'action de l'épaule libre, soutenue et également avancée, il faut faire attention à son naturel & à sa force. Les Chevaux, par exemple, qui retiennent leurs forces, retiennent aussi par conséquent l'action de l'épaule: Ils doivent être moins assujettis, & même lorsqu'ils se retiennent trop par malice ou autrement, il faut les chasser vigoureusement des deux jambes, & quelquefois des deux éperons, laissant pour quelque temps l'ordre limité de la justesse du passage, afin de leur rappeler & de leur maintenir la crainte & l'obéissance qu'ils doivent avoir pour les aides & pour les châtiments du Cavalier : ceux au contraire, qui par timidité naturelle, s'abandonnent sur la main, doivent être plus raccourcis, tenus plus ensemble & plus soutenus de la main, que déterminés des jambes & des jarrets ; avec ces précautions, on maintiendra & les uns & les autres dans leur véritable air.

Lorsqu'on change de main au passage, il faut que ce soit de deux pistes sur une ligne oblique, & que la moitié des épaules aille avant la croupe ; en sorte que la jambe de devant de dehors soit sur la ligne de celle de dedans de derrière ; & afin qu'il demeure dans l'équilibre et dans la balance entre les deux talons, il ne faut pas qu'il fasse un seul temps pour la peur de la jambe de dehors du Cavalier, que celle de dedans ne lui permette. Il faut pour cela savoir se servir à propos de sa main & de ses jambes.

Dans le passage des deux pistes, le Cheval doit faire autant de mouvements avec les pieds de derrière qu'avec ceux de devant. Il arrive souvent qu'un Cheval arrête les pieds de derrière en une place, pendant que ceux de devant dérobent le terrain, en faisant deux ou trois pas sans que le derrière accompagne : on appelle ce défaut, dévuider de l'épaule. Un autre défaut encore plus grand que celui-ci ; c'est lorsqu'il arrête les pieds de devant, & que ceux de derrière continuent d'aller, ce qu'on appelle s'acculer, s'entabler. Comme la vue du Cavalier est sur la posture de la tête & du col, & sur l'action des épaules, il lui est plus aisé de proportionner les mouvements que le Cheval fait avec les pieds de devant, que de tenir la croupe & les pieds de derrière dans une juste égalité : il faut pourtant acquérir la facilité de l'un & de l'autre, afin de remédier à temps & promptement à ces désordres ; ce qui dépend de la diligence de la main, & de la finesse du talon.

Il faut se ressouvenir encore qu'une des aides les plus subtiles, c'est de faire passer librement l'épaule & le bras de dehors du Cheval par -dessus celui de dedans, en passageant de deux pistes. Pour bien prendre ce temps, dit le savant M. de la Broue, il faut sentir quel pied pose à terre & quel pied est en l'air, & tourner la main de la bride dans le temps que le pied de devant du côté qu'il va ou qu'il tourne est en l'air & prêt à retomber, afin qu'en levant ensuite l'autre pied de devant, il soit contraint d'avancer l'épaule & le bras de dehors, en le chevalant par dessus celui de dedans. Il faut, ajoute-t-il, une grande facilité d'aides pour bien prendre ce temps ; car si on tourne la main dans le temps que le Cheval a le pied de dedans trop haut, au lieu d'élargir l'épaule & la jambe de dehors, c'est celle de dedans qui s'élargit ; & si l'on tourne la main lorsqu'il pose le pied de dedans à terre, il n'a point assez de temps pour chevaler librement l'épaule & la jambe de dehors.

Il est bon de remarquer encore, avant de finir ce chapitre, que des trois postures dont nous venons de parler, dans lesquelles on peut mener un Cheval au passage, il y en a deux qui ne peuvent être admises, que dans les bornes d'un manège limité, & pour le plaisir de la carrière, qui sont celles de la demi-hanche & celles des deux bouts dedans ; mais lorsqu'on tient un Cheval dans un pas noble & relevé, soit à la tête d'une troupe, soit dans des jours de revue, de fête ou de parade, il ne faut point lui demander ce manège d'École, mais le tenir droit d'épaules & de hanches avec un demi-pli seulement du côté qu'il va, pour lui donner plus de grâce dans son devant.

15 Des changements de main, & de la manière de doubler.

Ce qu'on appelle communément changement de main, est la ligne que décrit un Cheval, lorsqu'il va de droite à gauche ou de gauche à droite ; & comme cette leçon est en partie fondée sur la manière de doubler, nous expliquerons d'abord ce que c'est que faire doubler un Cheval.

Le manège regardé comme le lieu où l'on exerce les Chevaux, doit être un carré long ; & la division de ce carré en plusieurs autres plus ou moins larges forme ce qu'on appelle, doubler large & doubler étroit.

Cette façon de doubler, soit large, soit étroit, suivant la volonté du Cavalier, rend le Cheval attentif aux aides, & prompt à obéir à la main & aux jambes ; mais le difficile de cette action, est de tourner les épaules au bout de la ligne du carré sans que la croupe se dérange. Il faut pour cela, en tournant au bout de chaque ligne du carré, former un quart de cercle avec les épaules, & que les hanches demeurent dans la même place. Dans cette action, la jambe de derrière de dedans doit rester dans une place, & les trois autres jambes ; savoir, les deux de devant, & la jambe de derrière de dehors, tournent circulairement autour de celle de derrière de dedans, qui sert comme de pivot. Lorsque les épaules sont arrivées sur la ligne des hanches, on continue de passager droit dans les talons, jusqu'à l'autre coin du carré ; & cette leçon se répète au bout de chaque ligne, excepté dans les coins où les angles du carré sont formés par la rencontre des deux murailles. Alors ce sont les hanches qui doivent suivre les épaules par où elles ont passé, c'est-à-dire par l'angle du coin, et cela dans le temps qu'on tourne les épaules sur l'autre ligne.

C'est du carré dans les quatre coins & dans le milieu du manège, qu'on tire toutes les proportions qui s'observent dans les manèges bien réglés ; & qui servent à garder l'ordre qu'il faut tenir dans les changements de main larges & étroits, dans les voltes et dans les demi-voltes : car quoique quelques hommes de Cheval négligent cette régularité, il n'est pas à propos de les imiter dans une pratique contraire à la justesse.

Il y a des changements de main larges, & des changements de main étroits, des contre-changements de main, & des changements de main renversés.

Le changement de main large, est le chemin que décrit le Cheval d'une muraille à l'autre, soit d'une piste, soit de deux pistes, sur une ligne oblique.

Les deux lignes du changement de main large de deux pistes, dans le plan de terre, donneront l'idée de la proportion qu'on doit observer pour changer large.

Il est à remarquer que lorsqu'on change de main de côté, de deux pistes, la tête & les épaules doivent marcher les premières, & dans la même posture qu'à la croupe au mur, avec cette différence pourtant, que dans le changement de main, le Cheval doit marcher en avant à chaque pas qu'il fait ; ce qui donne beaucoup de liberté à l'épaule de dehors, & tient le Cheval dans une continuelle obéissance pour la main & pour les jambes.

Le changement de main étroit se prend depuis la première ligne du doubler étroit, & va se terminer à la muraille sur une ligne parallèle à celle du changement de main large, comme on le voit au plan. Quelques Cavaliers confondent mal à propos la demi-volte avec le changement de main étroit.

À la fin de chaque changement de main, soit large, soit étroit, il faut que les épaules & les hanches arrivent ensemble, ce qu'on appelle, Fermer le changement de main ; en sorte que les quatre jambes du Cheval se trouvent sur la ligne de la muraille, avant que de reprendre à l'autre main. On n'a représenté ici que la main droite, parce qu'il est aisé de se figurer les mêmes lignes pour la gauche.

Le contre-changement de main, est composé de deux lignes. La première est le commencement d'un changement de main large ; et lorsque le Cheval est arrivé au milieu de la place, au lieu de continuer d'aller à la même main, il faut marcher droit en avant deux ou trois pas ; & après lui avoir placé la tête à l'autre main, on le ramène sur une ligne oblique, pour arriver sur la ligne de la muraille que l'on vient de quitter ; & on continue d'aller à la main où l'on était avant que de changer.

Le changement de main renversé se commence comme le contre -changement de main, & dans le milieu de la seconde ligne oblique, au lieu d'aller jusqu'au mur, on renverse l'épaule pour se retrouver à l'autre main. Voyez dans le plan de terre le renversement d'épaule où le Cheval se trouve à gauche en arrivant à la muraille d'où il est parti à droite.

Tous ces différents manèges de changements de main, contre-changements, & renversements d'épaules, sont faits pour empêcher les Chevaux d'aller par routine ; c'est le défaut de ceux qui manient plus de mémoire que pour la main & les jambes.

16 Du Galop.

Comme nous avons donné dans le Chapitre des Allures naturelles, la définition des différents mouvements que le Cheval fait en galopant, soit à droite, soit à gauche, lorsqu'il est faux et désuni ; il nous reste à parler ici des propriétés du galop, de la manière de le sentir, & des règles qu'il faut observer pour bien galoper un Cheval.

On tire du galop trois avantages considérables, qui sont d'assurer la bouche trop sensible, d'augmenter l'haleine, & d'abaisser la vigueur superflue d'un Cheval qui a trop de rein.

Tous les Hommes de Cheval conviennent que le galop donne de l'appui & assure les bouches sensibles ; parce que dans l'action que le Cheval fait en galopant, il lève les deux épaules & les deux bras en l'air ; & les pieds de devant retombant ensemble à terre après ce mouvement, le Cheval est naturellement porté à prendre de l'appui sur le mors, & le Cavalier a le temps de lui faire sentir dans ce moment l'effet de la bride.

Le galop augmente l'haleine, parce que le Cheval étant obligé d'étendre toutes les parties de son corps, pour mieux distribuer ses forces, les muscles de la poitrine se dilatent, & les poumons se remplissent d'une plus grande quantité d'air, ce qui procure une respiration plus libre.

Le galop diminue & abaisse la vigueur superflue de certains Chevaux, qui se servent de leurs reins pour des sauts désunis & des contre-temps qui incommodent & dérangent un Cavalier ; parce que dans le mouvement, que le Cheval fait en galopant, les jambes de devant se trouvant éloignées de celles de derrière, les reins qui sont la partie supérieure du corps, sont nécessairement contraints de se baisser dans cette action, ce qui par conséquent, diminue la force de cette partie : ceci doit s'entendre du galop étendu qui est propre à ces sortes de Chevaux, car le galop rassemblé leur donnerait occasion de continuer leurs désordres.

C'est une règle pratiquée par tous les habiles Maîtres, qu'il ne faut jamais galoper un Cheval sans l'avoir assoupli au trot, de façon qu'il se présente de lui-même au galop, sans peser ni tirer à la main : il faut donc attendre qu'il soit souple de tout son corps, qu'il soit arrondi l'épaule en dedans, qu'il obéisse aux talons au passage de la croupe au mur, & qu'il soit devenu léger au piaffer dans les piliers ; & si-tôt qu'il sera parvenu à ce point d'obéissance, pour le peu qu'on l'ébranle au galop, il le fera avec plaisir. Il faudra le galoper dans la posture de l'épaule en dedans, non-seulement pour le rendre plus libre & plus obéissant, mais pour lui ôter la mauvaise habitude qu'ont presque tous les Chevaux, de galoper la jambe de dedans de derrière ouverte, écartée, & hors de la ligne de la jambe de dedans de devant. Ce défaut est d'autant plus considérable, qu'il incommode fort un Cavalier & le place mal à son aise, comme il est facile de le remarquer dans la plupart de ceux qui galopent ; par exemple, sur le pied droit, qui est la manière de galoper les Chevaux de chasse & de campagne ; on verra qu'ils ont presque tous l'épaule gauche reculée, & qu'ils sont penchés à gauche : la raison en est naturelle ; c'est que le Cheval en galopant la jambe droite de derrière ouverte & écartée de la gauche, l'os de la hanche dans cette situation, pousse & jette nécessairement le Cavalier en dehors & le place de travers. C'est donc pour remédier à ce défaut qu'il faut galoper un Cheval l'épaule en dedans, pour lui apprendre à approcher la jambe de derrière de dedans de celle de dehors, & lui faire baisser la hanche ; & lorsqu'il a été assoupli & rompu dans cette posture, il lui est aisé de galoper ensuite les hanches unies & sur la ligne des épaules, en sorte que le derrière chasse le devant ; ce qui est le vrai & le beau galop.

Un autre défaut qu'ont beaucoup de Cavaliers, c'est qu'ils ne s'attachent point dans les commencements à sentir leur galop, ce qui est pourtant une chose essentielle ; c'est pour cela que j'ai jugé à propos d'enseigner ici un moyen de le sentir en peu de temps ; je le tiens d'un ancien Écuyer qui était en grande réputation pour les Chevaux de course.

Ce moyen est de prendre un Cheval de campagne qui aille un pas allongé et étendu, & de s'attacher à sentir la position des pieds de devant. Pour sentir cette position, il est nécessaire de regarder dans les commencements le mouvement de l'épaule, pour voir quel pied pose à terre & quel pied lève, en comptant ce mouvement dans sa tête, & en disant un, deux. Par exemple, lorsque le pied gauche de devant se pose à terre, il faut en soi-même dire, un ; & quand le pied droit se pose à son tour, il faut dire, deux ; & ainsi de suite en comptant toujours, un, deux.

Ce n'est pas une chose bien difficile, que de compter à la vue cette position de pieds, mais l'essentiel est de faire passer ce sentiment dans les cuisses & dans les jarrets ; en sorte que l'impression que fait, par exemple, le pied gauche lorsqu'il se pose à terre, passe dans le jarret gauche, sans plus regarder le mouvement de l'épaule, en comptant toujours, comme on l'a fait, en le regardant, un ; & de même lorsque le pied droit se pose, il faut, sans regarder le mouvement de la jambe, dire, deux. Avec un peu d'attention, en observant cette méthode, on sentira en peu de temps dans ses jarrets, quel pied pose & quel pied lève ; et quand on sera bien sûr de ce mouvement au pas, il faudra pratiquer la même chose au trot, qui est un mouvement plus détaché de terre, plus vite, & par conséquent plus difficile à sentir ; c'est pourquoi il faut dans cette allure recommencer par regarder le mouvement de l'épaule pour être sûr de sa position, & faire passer ce sentiment dans les jarrets, comme on a fait au pas.

Lorsqu'on sentira bien au trot la position des pieds de devant, sans regarder l'épaule, on le sentira en peu de temps au galop, parce que la position des pieds de devant au galop se fait en deux temps, comme au trot, un, deux.

Quand on sera sûr de son galop, il sera facile de sentir quand il se désunira ; car un Cheval désuni a l'allure si incommode, que pour peu qu'on soit bien en selle, il faudrait être privé de tout sentiment, pour ne pas sentir le dérangement que cause ce changement déréglé dans son assiette.

Quoique ce soit une chose qui mérite plus d'attention que de science, que de sentir bien son galop, elle est pourtant absolument nécessaire à savoir pour mener un Cheval dans les règles & tout Cavalier qui ne sent pas le galop du Cheval, ne peut jamais passer pour Homme de Cheval.

M. de la Broue dit, que le beau galop doit être raccourci du devant et diligent des hanches. Cette définition regarde le galop de manège, dont nous parlons ici ; car pour celui de chasse ou de campagne, dont nous parlerons dans le chapitre des Chevaux de Chasse, il doit être étendu. Cette diligence dans le train de derrière, qui forme la vraie cadence du galop, ne s'acquiert que par les envies d'aller, les demi-arrêts, & les fréquentes descentes de main. Les envies d'aller déterminent un Cheval plus vite que sa cadence ordinaire ; le demi-arrêt soutient le devant du Cheval, après l'avoir déterminé quelques pas ; & la descente de main est la récompense qui doit suivre immédiatement après l'obéissance du Cheval, & qui l'empêche de prendre la mauvaise habitude de s'appuyer sur le mors.

Lorsqu'un Cheval prend facilement l'envie d'aller, qu'il est assuré & obéissant à la main au demi-arrêt, & qu'il ne met point la tête en désordre dans la descente de main, il faut alors le régler dans un galop uni, qui est celui dans lequel le derrière chasse & accompagne le devant d'une cadence égale sans traîner les hanches, & que l'envie d'aller & les demi-arrêts soient, pour ainsi dire, imperceptibles, & ne soient sensibles qu'au Cheval.

Pour parvenir à donner ce galop cadencé & uni, il faut examiner soigneusement la nature de chaque Cheval, afin de pouvoir dispenser à propos les leçons qui lui conviennent.

Les Chevaux qui retiennent leurs forces, doivent être étendus & déterminés sur de longues lignes droites avant que de régler leur galop ; ceux, au contraire, qui ont trop d'ardeur, doivent être tenus dans un galop lent & raccourci, qui leur ôte l'envie de se hâter trop, ce qui en même temps augmentera leur haleine.

Il ne faut pas toujours galoper sur des lignes droites, mais souvent sur des cercles les Chevaux qui ont trop de rein, parce qu'étant obligés de tenir leurs forces plus unies pour tourner pour aller droit, cette action leur diminue la force des reins, leur occupe la mémoire & la vue, leur ôte la fougue & l'envie de tirer à la main.

Il y a d'autres Chevaux qui avec assez de rein, ont de la faiblesse, ou ressentent de la douleur, soit dans les épaules ou dans les jambes, ou dans les boulets ou dans les pieds, par nature ou par accident. Comme ces sortes de Chevaux se défient de leurs forces, ils se présentent ordinairement de mauvaise grâce au galop ; il ne faut pas leur demander de longues reprises, afin de conserver leur courage & de ménager leur peu de vigueur.

Il y a encore deux autres natures de Chevaux, dont la manière de galoper est différente. Quelques uns nagent en galopant, c'est-à-dire, qu'ils allongent les jambes de devant, en les levant trop haut ; d'autres au contraire galopent trop près de terre. Pour remédier au défaut des premiers, il faut baisser la main & pousser le talon bas en appuyant sur les étriers, dans le temps que les pieds de devant se posent à terre : & il faut rendre la main quand le devant est en l'air, à ceux qui galopent trop près de terre, & qui s'appuient sur le mors, en les secourant des gras de jambes, & en soutenant de la main près de soi dans le temps qu'ils retombent des pieds de devant à terre, sans trop peser sur les étriers.

On doit toujours galoper un Cheval d'une piste, jusqu'à ce qu'il galope facilement aux deux mains ; car si on voulait trop tôt le presser d'aller de côté, c'est-à-dire, avant qu'il eût acquis la souplesse & la liberté du galop, il s'endurcirait l'appui de la bouche, deviendrait raide dans son devant, & on lui donnerait par là occasion de se défendre. On connaîtra facilement, quand il sera en état de galoper les hanches dedans ; parce qu'en lui mettant la croupe au mur, s'il se sent assez souple & libre pour obéir, pour le peu qu'on l'anime de la langue & qu'on le diligente de la jambe de dehors, il prendra de lui-même le galop, que l'on continuera quelques pas seulement, l'arrêtant & le flattant après, & en lui faisant pratiquer cette leçon de temps à autre, jusqu'à ce qu'on le sente en état de fournir une reprise entière.

Toutes ces leçons bien exécutées, appropriées à la nature de chaque Cheval, perfectionnées par l'épaule en dedans, & la croupe au mur, suivies de la ligne droite par le milieu du manège, sur laquelle ligne il faut toujours finir chaque reprise, pour unir et redresser les hanches, rendront avec le temps un Cheval libre, aisé & obéissant dans son galop, qui est une allure qui fait autant de plaisir à ceux qui voient galoper un Cheval de bonne grâce, quelle est commode et agréable au Cavalier.

17 Des Voltes ; des Demi-voltes ; des Passades ; des Pirouettes, & du Terre-à-terre.

Les anciens Écuyers inventèrent les voltes pour rendre leurs Chevaux plus adroits dans les combats d'épée & de pistolet, lesquels étaient fort en usage avant la défense des duels. On s'attacha à donner aux Chevaux beaucoup d'obéissance & de vitesse sur le cercle pour les rendre plus agiles & plus prompts à entourer diligemment & plusieurs fois la croupe, soit pour gagner celle de son ennemi, ou pour éviter de laisser gagner la sienne, en faisant toujours tête à celle de son adversaire. Dans la suite, on fit aussi de cet exercice un manège de carrière, dans lequel on renferma davantage les hanches, pour faire voir la science du Cavalier & l'adresse du Cheval ; c'est pourquoi on peut admettre deux sortes de voltes : celles qui servent au manège de guerre, & celles qui se font pour le plaisir de la carrière.

Dans les voltes qui représentent le combat, il ne faut point mener un Cheval sur un carré, ni aller de deux pistes, parce que dans cette posture, on ne pourrait pas joindre la croupe de son ennemi : il faut que ce soit sur une piste ronde, & tenir seulement une demi-hanche dedans, afin que le Cheval soit plus ferme sur son derrière. Comme l'on tient ses armes dans la main droite, qu'on appelle pour cette raison, La main de l'épée, il faut qu'un Cheval de guerre soit très souple à droite, parce qu'il est rare qu'on change de main, à moins qu'on n'ait à faire à un gaucher.

À l'égard des voltes qui regardent le manège d'École, elles doivent se faire de deux pistes, sur un carré, dont les quatre coins ou angles soient arrondis avec les épaules, ce qu'on appelle, Embrasser la volte. Ce manège de deux pistes, est tiré de la croupe au mur ; leçon après laquelle on commence à mettre un Cheval sur les voltes renversées, qui servent de principe pour bien exécuter les voltes ordinaires.

Lors donc qu'un Cheval sera obéissant aux deux mains la croupe au mur le long d'une muraille, il faudra, en renversant l'épaule dans chaque coin du manège, continuer de le tenir dans cette posture le long des quatre murailles, jusqu'à ce qu'il obéisse librement à chaque main. Il faut ensuite réduire le carré long, que forment les quatre murailles du manège dans un carré étroit, comme il est représenté dans le plan de terre, en tenant la tête & les épaules vers le centre, & en renversant, ou plutôt en arrêtant les épaules au bout de chaque ligne du carré, c'est-à-dire, à chaque coin, afin que les hanches puissent gagner l'autre ligne.

Quoique la tête & les épaules d'un Cheval qu'on trotte à la longe, ou qu'on élargit sur des cercles, la croupe dehors, soient vers le centre ; il ne faut pas croire pour cela que ce soient des voltes renversées, comme quelques Cavaliers confondent : la différence est bien grande ; car lorsqu'on mène un Cheval sur des cercles la tête dedans la croupe dehors ce sont les jambes de dedans qui s'élargissent, c'est-à-dire, qui passent par dessus celles de dehors, ce qui est la leçon que nous avons donnée, pour préparer un Cheval à aller l'épaule en dedans ; mais dans les voltes renversées, ce sont les jambes de dehors qui doivent passer & chevaler par dessus celles de dedans, comme dans la croupe au mur ; ce qui est bien plus difficile à faire exécuter au Cheval, parce qu'il est plus raccourci et plus sur ses hanches dans cette dernière posture : c'est aussi pour cela qu'on ne lui demande ce manège que lorsqu'il commence à bien connaître la main & les jambes, & qu'il va facilement de côté.

Toute la difficulté des voltes renversées consiste à plier le Cheval à la main où il va, à faire marcher les épaules les premières, & à savoir les arrêter dans les quatre coins du carré pour ranger les hanches sur l'autre ligne ; ce que le Cheval ne manquera pas d'exécuter facilement & en peu de temps, si auparavant il a été rendu souple & obéissant la croupe au mur, à laquelle leçon il faudra revenir, s'il se défend dans le carré étroit, dans lequel on doit renfermer un Cheval pour faire ce qu'on appelle, Volte renversée.

Si-tôt que le Cheval obéira librement, de deux pistes, aux deux mains, sur des carrés larges & étroits à la leçon des Voltes renversées, il faudra le mettre sur la volte ordinaire en lui tenant la croupe vers le centre, & la tête & les épaules vis-à-vis, & à deux ou trois pieds en deçà de la muraille, en sorte que les épaules décrivent le plus grand carré, & la croupe étant vers le centre, le plus petit. Il faut arrondir chaque coin avec les épaules, en portant & en tournant diligemment la main sur l'autre ligne, en tenant les hanches dans une ferme posture lorsqu'on tourne le devant ; mais la piste des hanches doit être tout-à-fait carrée. En portant ainsi un Cheval de côté de coin en coin, il n'est jamais couché dans la volte ni entablé : ce dernier défaut est considérable en ce qu'il estropie les hanches & mine les jarrets d'un Cheval ; désordres que quelques hommes de Cheval attribuent aux voltes en général ; mais c'est sans doute des voltes entablées et acculées dont ils entendent parler, car je ne crois pas qu'un Cavalier sensé puisse tenir un pareil discours à l'occasion d'un air qui fait si bien paraître l'obéissance & la gentillesse d'un Cheval ; qui embellit son action ; & qui donne une grâce infinie au Cavalier, lorsqu'il exécute bien ce manège.

Le savant M. de la Broue, qui le premier a trouvé la justesse & la proportion des belles voltes, donne encore une excellente leçon pour préparer un Cheval à cet air. C'est de le mener d'abord au pas d'École, droit et d'une piste sur les quatre lignes d'un carré, la tête placée en dedans ; & au bout de chaque ligne, lorsque les hanches sont arrivées dans l'angle qui forme la rencontre de l'autre ligne, de tourner les épaules jusqu'à ce qu'elles soient arrivées sur la ligne des hanches, comme on peut le voir dans le plan de terre. Cette leçon est d'autant meilleure qu'elle maintient un Cheval droit dans ses jambes, & qu'elle lui donne une grande souplesse d'épaules. Les pas faits par le droit, lui ôtent l'occasion de se retenir & de s'acculer, & l'arrondissement des épaules au bout de chaque ligne du carré apprend à un Cheval à tourner facilement ; & les hanches, en restant fermes & pliées dans ce mouvement, sont occupées à soutenir l'action de l'épaule & du bras du dehors. La pratique de ces règles du carré bien appropriées au naturel du Cheval, en retenant sur la ligne droite, celui qui pèse ou qui tire à la main ; en chassant celui qui le retient, & en diligentant les épaules des uns & des autres dans chaque coin, ajuste peu à peu & sans violence, la tête, le col, les épaules & les hanches d'un Cheval, sans qu'il s'aperçoive presque de la sujétion où cette leçon ne laisse pas de le tenir.

Afin de pourvoir tourner plus facilement les épaules, & que les hanches ne s'échappent pas au bout de chaque ligne du carré, il faut marquer un demi-arrêt, avant que de tourner le devant ; et après le demi-arrêt, il faut diligenter la main, afin que l'action libre des épaules ne soit point empêchée ; il faut aussi que le Cheval soit plié à la main où il va afin qu'il porte ensemble la tête, la vue et l'action sur la piste & la rondeur de chaque coin de la volte. Lorsque le Cheval sera obéissant à cette leçon au petit pas d'École, il faudra la lui faire faire au passage animé et relevé, pour ensuite la faire pratiquer au galop, toujours dans la même posture, c'est-à-dire, droit d'épaules & des hanches & plié à la main où il va. Chaque reprise, soit au passage ou au galop, doit finir dans le centre de la volte, en tournant le Cheval au milieu d'une des lignes du carré, en l'avançant jusqu'au centre, & en l'arrêtant droit dans les jambes, après quoi on le descend.

Lorsque le Cheval passagera librement d'une piste sur les quatre lignes du carré ; qu'il aura acquis dans la même posture la facilité d'un galop uni, & dans un beau pli, aux deux mains ; il faudra ensuite le passager de deux pistes, en observant, comme nous l'avons dit plusieurs fois, & comme on en saurait trop le répéter, de faire marcher les épaules les premières, afin de donner à l'épaule hors la volte, la facilité de faire passer le bras de dehors par dessus celui de dedans, ce qui est la plus grande difficulté ; car en retenant le libre mouvement des épaules, le Cheval serait couché & entablé dans la volte : il faut pourtant tenir les hanches un peu plus sujettes & plus en dedans aux Chevaux qui pèsent ou qui tirent à la main, afin de les rendre plus légers du devant ; mais il ne faut pas pour cela que la croupe marche avant les épaules : au contraire, ceux qui ont plus de légèreté que de force, ne doivent être si renfermés des hanches, afin qu'ils puissent marcher plus librement, en les maintenant toujours dans une action libre & avancée.

Il ne faut pas observer trop de justesse dans les commencements qu'on travaille un Cheval sur les voltes ; car il arriverait que celui qui est naturellement impatient, entrerait dans une inquiétude qui occasionnerait beaucoup de désordres, & que celui qui est paresseux & d'humeur flegmatique, assoupirait sa vigueur & son courage. On ne doit pas non plus rechercher d'abord sur les voltes, un Cheval qui a eu quelques jours de repos ; il arriverait qu'étant trop gai, il se servirait de ses reins & se défendrait. Il faut étendre au galop d'une piste ces sortes de Chevaux jusqu'à ce qu'ils aient passé leur gaieté & baissé leur rein ; c'est pourquoi il est de la prudence d'un habile Cavalier, d'interrompre l'ordre des proportions qui regardent la justesse, & de revenir aux premières règles, lorsqu'il arrive le moindre désordre.

Il faut longtemps passager un Cheval sur les voltes de deux pistes, avant de le faire galoper dans cette posture ; & lorsqu'on le sentira souple & aisé, pour le peu qu'on l'anime, il prendra de lui-même un galop raccourci, diligent, & coulé sur les hanches, qui est le vrai galop des voltes.

On appelle voltes redoublées, celles qui se font plusieurs fois de suite à la même main ; mais il faut qu'un Cheval ait acquis beaucoup de liberté, qu'il soit en haleine, et qu'il comprenne bien les justes proportions de cet exercice, avant que de le faire redoubler sur les voltes ; car une leçon trop forte confondrait ses esprits & sa vigueur : c'est pourquoi il faut dans les commencements à chaque fin de volte, l'arrêter & le caresser un peu afin de rassurer sa mémoire & ses forces, & de lui donner le temps de reprendre haleine. On doit aussi le changer de main & de place pour lui ôter l'appréhension que pourrait lui causer cette sujétion.

Les changements de main sur les voltes se font de deux manières ; tantôt en dehors, tantôt en dedans.

Pour changer de main en dehors de la volte, il faut simplement lui placer la tête, & le plier à l'autre main ; & en lui faisant fuir la jambe de dedans, qui devient alors jambe de dehors, il se trouvera avoir changé de main.

Le changement de main dans la volte, se fait en tournant le Cheval sur le milieu d'une des lignes du carré, le portant ensuite en avant sur une ligne droite vers le centre de la volte, & en le rangeant ensuite de côté jusqu'à l'autre ligne, pour le placer & reprendre à l'autre main. Lorsque ce dernier changement de main commence & finit les hanches dedans, on l'appelle, Demi-volte dans la volte.

À l'égard de la largeur d'une volte, elle doit se proportionner à la taille & à la longueur d'un Cheval ; parce qu'un petit Cheval sur un grand carré, & un grand Cheval sur un petit auraient mauvaise grâce. Les hommes de Cheval ont trouvé une juste proportion, en donnant l'espace de deux longueurs de Cheval, d'une piste à l'autre des pieds de derrière ; en sorte que le diamètre d'une volte régulière, doit être composé de quatre longueurs de Cheval.

ARTICLE II

Des Demi-voltes.

La demi-volte est un changement de main étroit les hanches dedans, qui se fait, ou dans la volte, comme nous venons de le dire, ou au bout d'une ligne droite. Une demi-volte doit être composée de trois lignes ; dans la première, on fait aller un Cheval de côté deux fois sa longueur, sans avancer ni reculer ; on tourne ensuite les épaules sur une seconde ligne d'égale longueur, & après l'avoir tourné sur la troisième ligne, on porte un peu le Cheval en avant & l'on ferme la demi-volte en arrivant des quatre jambes sur la ligne de la muraille pour reprendre à l'autre main. La raison pour laquelle il faut que le Cheval, en finissant la demi-volte, arrive des quatre pieds sur la même ligne ; c'est qu'autrement la demi-volte serait ouverte, & le derrière étant élargi & écarté de la piste des pieds de devant, le Cheval ne reprendrait en avant qu'avec la hanche de dedans & non avec les deux, ce qui le ferait abandonner sur les épaules. Il faut donc à la fin de chaque changement de main, ou de chaque demi-volte, que le Cheval arrive droit, afin qu'il puisse se servir de ses deux hanches ensemble pour chasser le devant & le rendre léger.

Avant que de commencer une demi-volte, il faut marquer un demi-arrêt, le contre-poids du corps un peu en arrière, afin que le Cheval se mette sur les hanches: il ne faut pas que la parade soit faible ni désunie, mais vigoureuse & nette autant que le permet la nature du Cheval, afin que la demi-volte soit également fournie, d'air, de justesse, & de vigueur.

II ne faut point mettre un Cheval sur les demi-voltes, qu'il ne sache auparavant passager librement sur la volte entière ; parce que dans une proportion de terrain plus étroite, il pourrait se serrer & s'acculer ; ce qui n'arrivera pas s'il a été confirmé dans un passage d'une piste, animé & relevé sur les quatre lignes du carré de la volte : Et lorsqu'il se couche ou se retient, il faut le chasser en avant ; & de même s'il s'abandonne trop sur la main et sur les épaules, il faudra le reculer. Lorsqu'il obéira au passage sur la demi-volte, il faudra l'animer à la fin de la troisième ligne, pour lui faire faire quatre ou cinq temps de galop raccourci, bas, & diligent, ensuite le flatter; & quand on le sentira bien disposé, il faudra commencer et finir la demi-volte au galop.

Tant dans les voltes que dans les demi-voltes, il faut souvent varier l'ordre de la leçon, en changeant de main & de place ; car si on faisait toujours les demi-voltes dans le même endroit, le Cheval préméditant la volonté du Cavalier, voudrait les faire de lui-même.

S'il arrive que le Cheval résiste aux règles de la proportion & de la justesse des voltes & des demi-voltes, il faudra le remettre l'épaule en dedans & la croupe au mur ; par ce moyen il passera sa colère & diminuera sa fougue ; mais ces désordres n'arrivent qu'à ceux qui ne suivent pas la nature, & qui veulent trop presser les Chevaux & les dresser trop vite : il faut au contraire, les faire venir à force d'aisance & de souplesse, & non par la violence ; car à mesure qu'un Cheval devient souple, & qu'il comprend la volonté du Cavalier, il ne demande qu'à obéir à moins qu'il ne soit d'un naturel absolument rebelle, auquel cas, il ne faut point lui demander de manège régulier, mais une simple obéissance, de laquelle on puisse tirer le service à quoi on le destine & qui convient à sa disposition.

ARTICLE III

Des Passades.

La passade est, comme nous l'avons expliqué dans le Chapitre des Mouvements artificiels, une ligne droite sur laquelle un Cheval passe & repasse (ce qui a donné le nom de Passade) aux deux bouts de laquelle ligne on fait un changement de main ou une demi-volte.

La ligne de la passade doit être d'environ cinq longueurs de Cheval, & les demi-voltes ne doivent avoir qu'une longueur dans leur largeur ; en sorte qu'elles sont plus étroites de la moitié qu'une demi-volte ordinaire ; parce que, comme ce manège est fait pour le combat, lorsqu'un Cavalier a donné un coup d'épée à son ennemi, plutôt il peut retourner son Cheval après cette action, plutôt il est en état de repartir & de fournir un nouveau coup. Ces sortes de demi-voltes de combat se font aussi en trois temps ; & le dernier doit fermer la demi-volte : il faut qu'un Cheval soit raccourci et sur les hanches en tournant, afin d'être plus ferme sur ses pieds de derrière, & de ne pas glisser : le Cavalier en est aussi plus à son aise & mieux en selle.

Il y a deux sortes de passades. Celles qui se font au petit galop, tant sur la ligne de la passade que sur les demi-voltes : Et celles qu'on appelle Furieuses, dans lesquelles on part à toutes jambes, depuis le milieu de la ligne droite, jusqu'à l'endroit où l'on marque l'arrêt pour commencer la demi-volte: ainsi dans les passades furieuses, après avoir fini la demi-volte, on continue d'aller au petit galop jusqu'au milieu de la ligne droite, tant pour s'affermir dans la selle, que pour examiner les mouvements de son ennemi, sur lequel on échappe son Cheval en partant de vitesse ; & on le rassemble ensuite pour l'autre main.

Quand le Cheval sera obéissant aux passades le long de la muraille, et qu'il changera de pied facilement & sans se désunir en finissant chaque demi-volte, il faudra les lui faire faire sur la ligne du milieu du manège; car comme cet exercice est fait pour le combat, il faut qu'il se fasse en liberté, afin de pouvoir aller à la rencontre de son ennemi.

On fait aussi dans un manège des passades, dont les demi-voltes sont de la largeur des demi-voltes ordinaires ; & alors ce n'est plus un manège de guerre, mais d'École, qui se fait pour le plaisir, ou pour élargir un Cheval qui se serre trop ; de même qu'on fait aussi la ligne de la passade plus ou moins longue, selon que le Cheval s'abandonne ou se retient, afin de le rendre toujours attentif à l'action des jambes & de la main du Cavalier.

Quoique ce manège soit aussi beau que difficile à exécuter, nous n'entrerons pas dans un plus grand détail, puisqu'on y emploie les mêmes règles que dans celui des voltes dont nous venons de parler : si le Cheval refuse d'obéir ce sera, ou mauvaise nature, ou faute de souplesse & d'obéissance, auquel cas il faudra avoir recours aux principes que nous avons établis.

ARTICLE IV

De la Pirouette.

Une pirouette n'est autre chose qu'une volte dans la longueur du Cheval sans changer de place : les hanches restent dans le centre & les épaules fournissent le cercle. Dans cette action, la jambe de derrière de dedans ne se lève point, mais tourne dans une place, & sert comme de pivot autour duquel les trois autres jambes & tout le corps du Cheval tournent.

La demi-pirouette, est une demi-volte dans une place & dans la longueur du Cheval ; c'est une espèce de changement de main, qui se fait en tournant un Cheval de la tête à la queue, les hanches restant dans une même place.

Les passades & les pirouettes, de même que les voltes & les demi-voltes, sont des manèges de guerre qui servent à se retourner promptement de peur de surprise ; à prévenir son ennemi ; à éviter son attaque ; ou à l'attaquer avec plus de diligence.

Il se trouve peu de Chevaux qui puissent fournir plusieurs pirouettes de suite avec la même égalité, qui est la beauté de cet air, parce qu'il y en a peu qui aient les qualités qui conviennent à cet exercice, dans lequel un Cheval doit être extrêmement libre d'épaules, très ferme, & assuré sur les hanches. Ceux, par exemple, qui ont l'encolure & les épaules trop charnues ne sont pas bons pour ce manège.

Avant que de diligenter un Cheval au galop à pirouettes, il faut lui faire faire d'abord quelques demi-pirouettes au pas à chaque main, tantôt dans une place, tantôt dans une autre ; & à mesure qu'il obéit sans désordre, on le rassemble au passage, & on lui en demande d'entières ; en sorte que sans déranger les hanches, la tête & les épaules se retrouvent à la fin de la pirouette dans l'endroit d'où elles sont parties : par ce moyen, il acquerra bientôt la facilité de les faire au galop.

Si un Cheval après avoir été rendu suffisamment souple & obéissant, se défend à cet air ; c'est une preuve que ses hanches ne sont pas assez bonnes pour soutenir sur son derrière toutes les parties de devant, & le poids du Cavalier; mais s'il a les qualités requises, il fournira avec le temps, autant de pirouettes que la prudence du Cavalier l'exigera.

Pour changer de main à pirouettes, il faut promptement placer la tête à l'autre main, & soutenir de la jambe de dehors, pour empêcher la croupe de sortir du centre ; mais il ne faut pas que le Cheval soit autant plié dans cet air, que sur la volte ordinaire, parce que si la tête était trop dedans, la croupe sortirait du centre en pirouettant.

On varie les pirouettes suivant la disposition du Cheval : On en fait quelquefois dans le milieu d'un changement de main sans interrompre l'ordre de la leçon, que l'on continue à l'ordinaire : mais ce qui fait bien voir l'obéissance & la justesse d'un Cheval, c'est lorsqu'en maniant sur les voltes, on étrécit de plus en plus le Cheval jusqu'à ce qu'il soit arrivé au centre de la volte, où on lui fait faire tout d'une haleine autant de pirouettes que sa ressource et son haleine lui permettent d'en fournir.

ARTICLE V

Du Terre-à-terre.

Suivant la définition de M. le Duc de Newcastle, qui est très juste, le terre-à-terre est un galop en deux temps, de deux pistes, beaucoup plus raccourci & plus rassemblée que le galop ordinaire, & dont la position des pieds est différente, en ce qu'un Cheval lève les deux jambes de devant ensemble & les pose de même à terre ; les pieds de derrière accompagnent ceux de devant d'un même mouvement, ce qui forme une cadence tride & basse, dans laquelle il marque tous les temps avec un fredon de hanches, qui part comme d'une espèce de ressort. Pour en avoir une idée encore plus nette, il faut se figurer cet air comme une suite de petits sauts fort bas, près de terre, le Cheval allant toujours un peu en avant et de côté ; comme les hanches dans cette posture n'avancent pas tant sous le ventre qu'au galop, c'est ce qui en rend l'action plus tride, plus basse, & plus déterminée.

Il faut encore observer qu'au terre-à-terre, le Cheval est plus appuyé sur les jambes de dehors que sur celles de dedans, lesquelles sont un peu plus avancées & entament le chemin, mais pas tant qu'au galop : & comme la croupe est fort assujettie dans un air si pressé & si tride des hanches, il se trouve être plus élargi du devant que du derrière, ce qui met l'épaule de dehors un peu en arrière & donne la liberté à celle de dedans.

Il est aisé de juger par la sujétion où cet air tient un Cheval, que cet exercice ne laisse pas d'être violent, & que peu de Chevaux sont capables de l'exécuter avec toute la justesse & toute la netteté nécessaires. Il faut qu'un Cheval soit bien nerveux et bien souple pour lui demander ce manège : ceux qui ont moins de force et de pratique que de légèreté & de courage, craignent la sujétion des règles si recherchées ; aussi les vrais Hommes de Cheval regardent ce manège, qui est devenu très rare, comme la pierre de touche, par laquelle on voit la science d'un Cavalier et l'adresse d'un Cheval.

Il ne faut pas tomber dans l'erreur de ceux qui donnent indifféremment le nom de Terre-à-terre à l'allure des Chevaux qui manient bas & traînent un mauvais galop près de terre, sans aucune action tride qui presse et détermine leurs hanches à former cette cadence serrée & diligente, dont le seul fredon fait voir la différence du vrai terre-à-terre au mauvais galop. Souvent faute de savoir la véritable définition de chaque air de manège, on n'est pas en état, ni de juger de la capacité d'un Cheval, ni par conséquent de lui donner l'air qui convient à sa disposition. Cette erreur de confondre ainsi les airs qui font l'ornement des beaux manèges, fait attribuer à quelques Cavaliers, dont la plus grande capacité consiste en routine, un prétendu savoir, qui n'existe que dans leur suffisance mal fondée & dans l'aveugle admiration de ceux qui les prônent sans aucune connaissance dans l'Art de la Cavalerie.

Comme la perfection du terre-à-terre, est d'avoir la hanche de dehors serrée, il faut dans les voltes à cet air, que le carré soit encore plus parfait qu'à celles qui se font au simple galop de deux pistes; mais il faut prendre garde dans les coins, que la jambe de derrière de dedans n'aille pas avant les épaules ; car alors le Cheval étant trop élargi des hanches, il serait entablé, & pourrait faire un élan en forçant la main du Cavalier pour se tirer de cette fausse position. On doit aussi prendre garde de n'avoir pas la main trop haute, car il ne pourrait pas aller bas & tride, ni couler également vite.

Les fautes les plus ordinaires qu'un Cheval fait en maniant le terre-à-terre, sont de s'acculer, de lever trop le devant, ou de traîner les hanches : il faut lorsque quelqu'un de ces désordres arrive, déterminer le Cheval en avant avec les éperons, afin de le corriger, de l'avertir de se tenir plus ensemble, & de diligenter davantage sa cadence; & comme dans cet exercice, les parties du Cheval sont extrêmement travaillées, il faut toujours sentir en quel état d'obéissance il tient ses forces & son courage pour finir la reprise avant que la lassitude lui donne occasion de se défendre.

Les règles pour dresser un Cheval au terre-à-terre, se tirent de la connaissance qu'on a de son naturel & de la disposition qu'on lui trouve pour cet air ; laquelle on connaît facilement, lorsqu'après avoir été assoupli dans les règles, en le recherchant & en le rassemblant, il prend de lui-même ce fredon de hanches dont nous venons de parler ; il aura sans doute de la disposition pour exécuter ce manège ; mais il faut bien ménager ses ressorts, surtout dans les commencements, en ne lui demandant que quatre demi-voltes de suite au plus, qu'il fournira aisément, s'il y a été préparé par les principes qui doivent le conduire à cette leçon. À mesure que ses forces & son haleine le rendront plus souple & plus dispos, on pourra, après qu'il aura fourni quatre demi-voltes, c'est-à-dire, deux à chaque main, le délasser au petit galop lent & écouté, pour le rassembler ensuite sur le carré du milieu de la place, & le rechercher sur deux ou trois voltes de son air ; puis le finir & le descendre.

18 Des Airs relevés.

Nous avons dit que tous les sauts qui sont plus détachés de terre que le terre-à-terre, & qui sont en usage dans les bonnes Écoles, s'appellent, Airs relevés. Ils sont au nombre de sept ; savoir, la Pesade, le Mézair la Courbette, la Croupade, la Ballotade, la Capriole & le Pas-&-le Saut.

Avant que d'entrer dans le détail des règles qui conviennent à chacun de ces airs, il est ce me semble à propos d'examiner quelle nature de Chevaux il faut choisir pour cet usage ; quelles qualités un Cheval doit avoir pour résister à la violence des sauts, & quels sont ceux qui n'y ont point de disposition.

Il faut qu'un Cheval ait une inclination naturelle et qu'il se présente de lui-même à quelque air pour en faire un bon sauteur, autrement on perdrait son temps, on le rebuterait et on le ruinerait au lieu de le dresser. Une erreur qui n'est que trop ordinaire, c'est de croire que la grande force est absolument nécessaire dans un sauteur. Cette extrême vigueur, qu'ont certains Chevaux, les rend raides & mal-adroits, leur fait faire des sauts & des contre-temps qui les épuisent, ce qui incommode extrêmement un Cavalier parce qu'ordinairement ces sauts désunis & sans règle sont accompagnés d'efforts violents que leur suggère leur malice. Les Chevaux de ce caractère doivent être confinés dans les piliers, où une continuelle routine de sauts d'École les punit assez de leur mauvais naturel. Un Cheval qui est doué de médiocre force, & qui a beaucoup de courage & de légèreté, est incomparablement meilleur, parce qu'il donne ce qu'il peut de bonne volonté, & qu'il dure longtemps dans son exercice ; au lieu que celui qui a beaucoup de force & de mauvaise volonté, se trouve usé avant que d'être dressé, par les remèdes violents qu'il faut employer pour dompter sa rébellion. Il se trouve encore certains Chevaux qui, avec des hanches un peu faibles, ne laissent pas de former des sauteurs passables, parce qu'ils aiment mieux s'élever & se détacher de terre, que de s'asseoir sur les hanches.

On appelle un Cheval de bonne force, celui qui est nerveux & léger ; qui distribue ses forces naturellement, uniment & de bonne grâce ; qui a l'appui de la bouche léger & assuré ; qui a les membres forts, les épaules libres, les boulets, les pâturons & les pieds bons ; & qui est de bonne volonté.

Ceux qui n'ont point de disposition pour les airs relevés, sont ceux qui sont trop sensibles, impatients, & coléres ; qui entrent facilement en fougue & en inquiétude ; se serrent, trépignent et refusent de se lever. Il y en a d'autres qui crient par malice & par poltronnerie, quand on les recherche ; qui font des sauts désordonnés qui témoignent leur vice, & l'envie qu'ils ont de jeter leur homme par terre : il y en a encore d'autres qui pèchent pour avoir les pieds douloureux ou défectueux, & en retombant à terre, la douleur qu'ils ressentent les empêche de fournir un nouveau saut ; ceux aussi qui ont la bouche fausse & l'appui faible, ont presque toujours la tête en désordre à la descente de chaque saut, ce qui est très désagréable ; ainsi, quand on trouve un Cheval qui a quelqu'une de ces imperfections, il ne faut point songer à en faire un sauteur.

Il y a encore une chose à examiner ; c'est lorsqu'on a rencontré un Cheval de bonne force & de bonne disposition, de savoir juger quelle nature de saut lui est propre afin de ne le point forcer à un air qui ne convient ni à son naturel, ni à sa disposition ; & avant que de lui former cet air, il faut qu'il ait été assoupli & rendu obéissant aux leçons dont nous avons donné les principes. Entrons présentement dans le détail de chaque air.

ARTICLE PREMIER

Des Pesades.

La Pesade, comme nous l'avons déjà définie, est un air dans lequel le Cheval lève le devant fort haut & dans une place, tenant les pieds de derrière fermes à terre sans les avancer ni les remuer. Ce n'est point à proprement parler un air relevé que la pesade, puisque le derrière n'accompagne point le devant, comme dans les autres airs, & ne se détache point de terre ; mais comme on se sert de cette leçon pour apprendre à un Cheval à lever légèrement le devant, à plier les bras de bonne grâce, & à s'affermir sur les hanches, pour le préparer à sauter avec plus de liberté, on le met à la tête de tous les airs relevés, comme en étant le fondement & la première règle. On se sert encore de la pesade pour corriger le défaut de ceux qui, dans les airs de Mézair et de Courbette, battent la poussière en maniant trop près de terre et en brouillant leur air avec les jambes de devant : c'est aussi pour cela qu'à la fin d'un droit de courbettes, on a coutume de faire la dernière haute du devant & dans une place, ce qui n'est autre chose qu'une pesade, et que l'on fait non seulement pour la grâce de l'arrêt, mais encore pour entretenir la légèreté du devant.

Il ne faut pas confondre la pesade avec le contre-temps que font les Chevaux qui se cabrent, quoique ceux-ci lèvent aussi le devant fort haut & qu'ils demeurent le derrière à terre : la différence en est bien grande ; car dans l'action que fait le Cheval, lorsqu'il lève à pesade, il doit être dans la main & plier les hanches & les jarrets sous lui, ce qui l'empêche de lever le devant plus haut qu'il ne doit ; & dans la pointe que fait un Cheval qui se cabre, il est étendu raide sur les jarrets, hors de la main, et en danger de se renverser.

Il ne faut point faire faire de pesades à un Cheval, qu'il ne soit souple d'épaules, obéissant à la main & aux jambes, & confirmé au piaffer ; et lorsqu'il est à ce point d'obéissance, on l'anime de la chambrière dans les piliers, en le touchant légèrement de la gaule sur les jambes de devant, dans le temps qu'il donne dans les cordes & qu'il avance les hanches sous lui : pour le peu qu'il se lève, il faut l'arrêter & le flatter ; & à mesure qu'il obéira, on le touchera plus vivement, afin qu'il lève plus haut le devant. Comme dans tous les airs relevés, un Cheval doit plier les bras de manière que les pieds se retroussent presque jusqu'au coude, (ce qui lui donne beaucoup de grâce), il faut corriger la vilaine action de ceux qui, au lieu de plier les genoux, allongent les jambes en avant, en croisant les pieds l'un par dessus l'autre : ce défaut qu'on appelle Jouer de l'épinette, est aisé à corriger en le châtiant de la gaule ou du fouet, & en lui en appliquant fort sur les genoux & sur les boulets. Un autre défaut, c'est lorsqu'un Cheval se lève de lui-même, sans qu'on le lui demande ; le châtiment pour ceux-ci, est de les faire ruer ; c'est ainsi qu'on corrige un défaut par son contraire ; & pour éviter qu'il ne continue ce désordre, il faut toujours commencer chaque reprise par le piaffer, lui demander ensuite quelques pesades & finir par le piaffer. Cette variété de leçon rendra un Cheval attentif à suivre la volonté du Cavalier.

Lorsqu'il obéira facilement dans les piliers à l'air de pesades, il faut ensuite le monter, & en le passageant en liberté, lui en demander une ou deux dans une place sans qu'il se traverse, & après la dernière, marcher deux ou trois pas en avant. Si en retombant des pieds de devant à terre, il s'appuie ou tire à la main, il faut le reculer, lever ensuite une pesade, & le caresser s'il obéit : Si au contraire, il se retient & s'accule, au lieu de lever le devant, on doit le chasser en avant ; & lorsqu'il prend bien les jambes, marquer un arrêt suivi d'une pesade, en se contentant de peu ; car comme les Chevaux les plus sages marquent toujours quelque sentiment de colère, lorsqu'on commence à les mettre aux airs relevés, il ne faut pas tirer d'eux autant de temps de leur air qu'ils pourraient en fournir ; parce qu'il arriverait qu'ils s'endurciraient perdraient l'habitude de tourner facilement, & même se serviraient de leur air pour se défendre, en se levant lorsqu'on ne leur demande pas ; ainsi on doit dans les commencements les ménager beaucoup, & prendre garde qu'ils ne tombent dans aucun de ces vices, qui pourraient les rendre rétifs.

ARTICLE II

Du Mézair.

Le Mézair, comme le définissent fort bien quelques Écuyers, n'est autre chose qu'une demi-courbette, dont le mouvement est moins détaché de terre, plus bas, plus vite, & plus avancé que la vraie courbette, mais aussi plus relevé & plus écouté que le terre-à-terre.

Il est aisé de voir dans les piliers, si un Cheval a plus de penchant pour le Mézair que pour tout autre saut ; parce que si la nature lui a donné de l'inclination pour cet air, lorsqu'on le recherchera, il se présentera de lui-même dans une cadence plus relevée que le terre-à-terre, & plus tride que la courbette : & quand par plusieurs leçons réitérées, on aura reconnu sa disposition, il faudra le confirmer dans cet air, en se servant des mêmes règles que pour les pesades, c'est-à-dire, commencer chaque reprise par le piaffer, suivi de quelques temps de Mézair, en se servant de la gaule devant, & de la chambrière derrière ; & ainsi alternativement. Lorsqu'on jugera à propos de lui faire pratiquer cette leçon en liberté, il faut, après l'avoir passagé d'une piste, le rassembler pour le faire aller de son air, soit dans le changement de main, soit dans la demi-volte, toujours de deux pistes ; car il n'est pas d'usage d'aller d'une piste au mézair, ni au terre-à-terre.

Les aides les plus utiles & les plus gracieuses dont on se sert, pour faire aller un Cheval à mézair, c'est de toucher légèrement & de bonne grâce, de la gaule sur l'épaule de dehors, en l'aidant & le secourant des gras de jambes. Lorsque la croupe n'accompagne point assez le devant, on croise la gaule sous main pour toucher sur la croupe, ce qui fait rabattre le derrière plus tride.

Si le Cheval tombe dans les défauts ordinaires à presque tous les Chevaux qu'on dresse aux airs détachés de terre, qui font, ou de retenir leur force, ou de s'abandonner trop sur la main, ou de manier de soi-même sans attendre les aides du Cavalier, il faut y apporter les remèdes ci dessus, & les employer avec le jugement, la prudence, & la patience qui sont nécessaires à un Homme de Cheval.

On doit encore dans cet air, observer la même proportion de terrain qu'au terre-à-terre, c'est-à-dire, le tenir dans le juste espace des voltes & des demi-voltes ; car comme ces airs ont beaucoup de rapport l'un à l'autre ; et qu'ils forment un manège serré & tride, la posture du Cheval doit être la même dans ces deux airs.

ARTICLE III

Des Courbettes.

La Courbette est un saut plus relevé du devant, plus écouté & plus soutenu que le Mézair. Les hanches doivent rabattre & accompagner le devant d'une cadence égale, tride & basse, dans l'instant que les jambes de devant retombent à terre. Il y a donc cette différence entre le mézair & la courbette ; que dans le premier, le Cheval est moins détaché de terre du devant, et qu'il avance & diligente plus la cadence de son air que pour la courbette, dans laquelle il est plus relevé, plus soutenu du devant, & qu'il rabat les hanches avec plus de sujétion, en soutenant le Cheval plus longtemps en l'air. Il faut remarquer qu'au galop, au terre-à-terre, & à la pirouette, le Cheval porte ses jambes l'une devant l'autre, tant du devant que du derrière ; mais au mézair, aux courbettes, & à tous les autres airs relevés, elles doivent être égales, & n'avancer pas plus l'une que l'autre, lorsqu'elles se posent à terre, ce qui serait un grand défaut, qu'on appelle, Traîner les hanches.

Outre la disposition naturelle qu'un Cheval doit avoir pour bien aller à courbette, il faut encore beaucoup d'art pour l'acheminer & le confirmer dans cet air, qui est de tous ceux qu'on appelle, Relevés, le plus à la mode & le plus en usage ; parce que c'est un saut gracieux dans un manège, qui, sans être rude, prouve la bonté des hanches d'un Cheval & fait paraître un Cavalier dans une belle posture. Cet air était fort en usage autrefois parmi les Officiers de Cavalerie, qui se piquaient d'avoir des Chevaux dressés, soit à la tête de leur troupe, ou dans des jours de parade ; on leur voyait de temps à autre détacher quelques belles courbettes, qui servaient autant à animer un Cheval, lorsqu'il ralentissait la noblesse de son pas, qu'à le tenir dans son obéissance, & à lui donner ensuite un pas plus relevé, plus fier & plus léger.

Il ne faut point demander de courbettes à un Cheval qu'il ne soit obéissant au terre-à-terre & au mézair ; car un bon terre-à-terre & un véritable mézair sont plus de la moitié du chemin pour arriver à la courbette, au cas qu'un Cheval ait de la disposition pour aller à cet air. Ceux qui n'y sont pas propres, sont les Chevaux paresseux, pesants, ou ceux qui retiennent leurs forces par malice : & de même ceux qui sont impatients, inquiets & pleins de feu & de fougue ; parce que tous les airs relevés augmentent la colère naturelle de ces sortes de Chevaux, leur font perdre la mémoire & leur ôtent l'obéissance : il faut donc que celui qu'on destine à cet exercice soit nerveux, léger et vigoureux, & avec cela, sage, docile & obéissant.

Quand avec ces qualités, on verra dans les piliers que l'air favori d'un Cheval, est celui de la courbette, il faut, après lui avoir appris à bien détacher le devant par le moyen des pesades, lui animer ensuite les hanches avec la chambrière pour faire rabattre la croupe & baisser le devant, afin qu'il prenne la juste cadence & la vraie posture de son air. Lorsqu'il y sera en quelque sorte réglé, & qu'il en fournira quatre ou cinq de suite sans désordre & dans les règles, il faut commencer à lui en faire faire quelques unes en liberté, sur la ligne du milieu du manège, & non le long de la muraille ; car ceux que l'on accoutume à lever le long du mur, ne vont que de routine, & se dérangent quand on leur demande la même chose ailleurs. On ne doit pas demander dans les commencements plusieurs courbettes de suite ; mais en faisant passager et piaffer un Cheval sur la ligne droite, lorsqu'on le sent bien ensemble & dans un bon appui, on lui en dérobe deux ou trois bien détachées & bien écoutés ; on continue ensuite quelques pas de passage, & on le finit par deux ou trois temps de piaffer ; parce qu'il arriverait que si on finissait le dernier temps par une courbette, le Cheval se servirait de cet air pour se défendre.

Pour bien aider un Cheval à courbettes, il faut que le temps de la main soit prompt & agile afin de lever le devant : les jambes du Cavalier doivent suivre le temps des courbettes sans trop le chercher ; car un Cheval prend naturellement son temps & sa cadence propre, quand il commence à s'ajuster. On ne doit point surtout raidir les jarrets, parce qu'en l'aidant trop vivement, il se presserait trop ; il faut au contraire, être souple, depuis les genoux jusqu'aux étriers, & avoir la pointe du pied un peu basse, ce qui lâche les nerfs : le seul mouvement du Cheval, lorsqu'on garde l'équilibre dans une posture droite & aisée, fait que les gras de jambes aident le Cheval sans les approcher, à moins qu'il ne se retienne, auquel cas il faut se servir plus vigoureusement de ses aides & se relâcher ensuite.

Les courbettes doivent être ajustées au naturel du Cheval, celui qui a trop d'appui, doit les faire plus courtes & plus soutenues sur les hanches; & celui qui se retient, doit les avancer davantage ; autrement les uns deviendraient pesants & forceraient la main, & les autres pourraient devenir rétifs. Pour remédier à ces défauts, on leur met souvent l'épaule en dedans au passage : cette leçon les entretiendra dans la liberté qu'ils doivent avoir pour obéir facilement à leur air.

Lorsqu'un Cheval obéira librement & sans se traverser sur la ligne droite à courbettes ; il faudra, pour le préparer à aller sur les voltes de son air, le promener sur le carré que nous avons donné pour règles des voltes de galop ; & lorsqu'on le sentira droit au passage & dans la balance des talons sur les quatre lignes du carré, il faut de temps à autre lui détacher quelque courbette, excepté dans les coins du carré, où on ne doit pas le lever, mais tourner les épaules librement sur l'autre ligne, sans que la croupe se dérange ; car si on voulait le lever en tournant il s'endurcirait & s'acculerait. Lorsqu'il exécutera bien cette leçon sur ces quatre lignes & qu'il sera assez avancé & assez en haleine pour fournir tout le carré à courbettes, on pourra commencer à lui apprendre à en faire les hanches dedans ; & pour cela, il faut le passager la croupe au mur, & dans cette attitude, lui tirer une ou deux courbettes de deux pistes : elles ne se font point en l'aidant quand il est en l'air, mais dans l'instant qu'il retombe des pieds de devant à terre, on l'aide de la jambe de dehors, pour le porter un temps de côté, ensuite une courbette avec les deux gras de jambes, en le soutenant de la main, & ainsi de suite un pas de côté suivi d'une courbette. Lorsqu'il ira bien la croupe au mur, il faudra le mettre sur le carré dans le milieu de la place, & en le tenant de deux pistes, l'accoutumer à lever de son air dans cette posture, en proportionnant la force de cette leçon à son obéissance & à sa disposition. On ne doit pas tenir autant les hanches dedans sur les voltes à courbettes, qu'au terre-à-terre & au mézair ; car si la croupe était trop assujettie, il ne pourrait pas rabattre les hanches avec assez de liberté ; c'est pourquoi il ne faut seulement tenir qu'un peu plus que la demi-hanche dedans. On ne doit pas non plus plier un Cheval autant sur les voltes à courbettes qu'au galop & au terre-à-terre, il doit regarder seulement d'un œil dans la volte; & lorsqu'on fait des courbettes par le droit, d'une piste, il ne faut pas qu'il soit du tout plié, mais droit de tête, d'épaules & de hanches.

Outre les courbettes sur les voltes, il s'en fait encore de deux autres manières, qui sont, la croix à courbettes, & la sarabande à courbettes.

Pour accoutumer un Cheval à faire la croix à courbettes, il faut le passager d'une piste sur la ligne droite, d'environ quatre longueurs de Cheval, le reculer après sur la même ligne, revenir ensuite jusqu'au milieu de la ligne droite, le porter après de côté sur le talon droit environ deux longueurs de Cheval, ensuite de côté sur le talon gauche encore deux longueurs au delà du milieu de la ligne droite, on revient enfin de côté sur le talon droit finir au milieu de la ligne, où on l'arrête & on le flatte. Lorsqu'il sait passager sur ces lignes sans se traverser, en avant, en arrière, et de côté sur l'un & l'autre talon, on lève une courbette au commencement, au milieu & à la fin de chaque ligne ; & si après plusieurs leçons il ne se défend point, on entreprend de lui faire fournir toute la croix à courbettes. Lorsqu'on le lève en reculant, il ne faut pas que le corps soit en arrière, mais droit, & même un tant soit peu en avant sans que cela paraisse, afin de donner plus de liberté à la croupe. C'est quand il retombe des pieds de devant à terre, et non quand il est en l'air, qu'il faut l'aider en le tenant de la main, afin qu'il recule un pas sans lever : on lève ensuite une courbette, & ainsi alternativement.

Dans la sarabande à courbettes, on fait deux courbettes en avant, autant en arrière, deux autres de côté sur un talon & sur l'autre, & ainsi de suite, en avant, de côté & en arrière indifféremment, sans observer de proportion de terrain comme dans la croix ; on lui en fait faire tout d'une haleine, autant que sa disposition & ses forces lui permettent d'en fournir; mais un Cavalier doit être bien Maître de ses aides, & le Cheval doit être bien ajusté & bien nerveux pour exécuter ces deux manèges de croix & de sarabande à courbettes avec la grâce & la liberté qu'il doit avoir : aussi ce manège s'est perdu de nos jours.

*ARTICLE IV**

De la Croupade & de la Balotade.

La Croupade & la Balotade sont deux airs qui ne diffèrent entre eux que dans la situation des jambes de derrière.

Dans la croupade lorsque le Cheval est en l'air des quatre jambes, il trousse & retire les jambes & les pieds de derrière sous son ventre, sans faire voir ses fers : & dans la balotade, lorsqu'il est au haut de son saut, il montre les pieds de derrière, comme s'il voulait ruer, sans pourtant détacher la ruade, comme il fait aux caprioles.

Nous avons déjà dit, que l'Art ne suffit pas pour donner aux Chevaux destinés aux airs relevés, ces différentes postures de jambes dans leurs sauts ; la nature jointe à l'Art et à la disposition naturelle prescrit des règles, qu'il faut suivre pour les ajuster & leur faire exécuter de bonne grâce ces différents manèges.

C'est toujours dans les piliers qu'il faut d'abord saisir l'air d'un Cheval. Ceux qui veulent commencer par dresser un sauteur en liberté sans être assoupli ni réglé au piaffer, & sans avoir étudié leur air dans les piliers, se trompent ; car tout sauteur, outre sa disposition naturelle à se détacher de terre, doit connaître parfaitement la main & les jambes, afin de pouvoir sauter légèrement et dans la main quand le Cavalier l'exige, & non par fantaisie & par routine.

Lorsqu'un Cheval fera facilement & sans colère quelques croupades ou balotades dans les piliers, en suivant la volonté du Cavalier, il faudra ensuite lui en demander quelques unes en liberté, en suivant le même ordre qu'aux airs ci-dessus, surtout celui des courbettes. Il est seulement à remarquer que plus les airs sont détachés de terre, plus un Cheval emploie de force pour les fournir ; & que le grand art est de conserver son courage & sa légèreté en lui demandant peu de sauts, surtout dans les commencements. Et lorsqu'il a donné de bonne volonté quelque temps de son air, il faut le flatter & le descendre.

Lorsqu'il fournit un droit de croupades ou de balotades en liberté, sans se traverser, il faut le préparer à lever de son air sur les quatre lignes qui forment la volte, l'y passageant & de temps à autre, lui dérobant quelques temps : & si on le sent disposé à bien obéir, il faudra profiter de sa bonne volonté, en le détachant de terre sur les quatre lignes, excepté, comme nous l'avons dit, dans les coins, où on ne doit point le lever en tournant. Il faut encore faire attention qu'aux airs de croupade, de balotade, & de capriole, il ne faut jamais aller de deux pistes, mais seulement une demi-hanche dedans ; autrement le derrière, étant trop assujetti, il ne pourrait pas si facilement accompagner l'action des épaules. On doit aussi prendre garde, que dans les quatre coins de la volte, la croupe ne s'échappe, lorsqu'on tourne le devant sur l'autre ligne ; il faut la fixer & la soutenir avec la jambe de dehors.

Les aides pour les airs relevés sont la gaule devant, en touchant légèrement & de suite sur l'épaule de dehors, & non brusquement & avec de grands coups comme font quelques Cavaliers, qui assomment l'épaule d'un Cheval. Pour toucher de bonne grâce, il faut avoir le bras plié & le coude levé à la hauteur de l'épaule. On se sert aussi, comme nous l'avons expliqué, de la gaule sous main & croisée sur la croupe, pour animer les hanches. L'aide du pincer délicat de l'éperon, est aussi excellente dans les airs relevés, lorsqu'un Cheval ne se détache pas assez de terre ; parce que cette aide, qui ne laisse pas d'être vive, lève plus un Cheval qu'elle ne le fait avancer.

Quoiqu'on ne doive pas aller de deux pistes, lorsqu'on lève un Cheval aux airs relevés, il faut pourtant entretenir un Cheval dans cette posture tant au passage qu'au galop ; parce que dans cette action les hanches étant plus serrées, plus basses & plus sujettes cela lui rend le devant plus léger & le prépare mieux à sauter. On ne doit pas non plus tomber dans le défaut de ceux qui ne semblent dresser leurs Chevaux, que pour leur faire faire de grands efforts qui accablent leurs forces : ce n'est pas-là l'intention de la bonne École ; on doit, au contraire, le maintenir dans la souplesse, dans l'obéissance & dans la justesse, qu'on tire des vrais principes de l'Art ; autrement l'École serait toujours confuse, & l'égalité de mesure que doit avoir chaque air relevé, serait interrompue ; & c'est une perfection qu'il ne faut pas négliger.

ARTICLE V

Des Caprioles.

La Capriole est, comme nous l'avons dit en définissant cet air, le plus élevé & le plus parfait de tous les sauts. Lorsque le Cheval est en l'air également élevé du devant & du derrière, il détache la ruade vivement, les jambes de derrière, dans ce moment, sont l'une près de l'autre, et il les allonge aussi loin qui est possible de les étendre ; les pieds de derrière, dans cette action, se lèvent à la hauteur de la croupe, & souvent les jarrets craquent par la subite violente extension de cette partie. Le terme de Capriole est une expression Italienne, que les Écuyers Napolitains ont donnée à cet air, à cause de la ressemblance qu'il a avec le saut du Chevreuil, nommé en Italien, Caprio.

Un Cheval qu'on destine aux caprioles, doit être nerveux, léger, & de bon appui ; avoir la bouche excellente, les jambes & les jarrets larges & nerveux, les pieds parfaitement bons, & propres à soutenir cet air ; car si la nature ne l'a formé dispos & léger, c'est en vain qu'on le travaillera ; il n'aura jamais l'agrément ni l'agilité qui font un bon sauteur.

Afin qu'une capriole soit dans sa perfection, le Cheval doit lever le devant & le derrière d'égale hauteur, c'est-à-dire, qu'il faut qu'au haut de son saut, la croupe & le garrot soient de niveau, la tête droite & assurée, les bras également pliés, et qu'à chaque saut le Cheval n'avance pas plus d'un pied de distance. Il y en a qui, en sautant à caprioles, retombent des quatre pieds ensemble sur la même place, & se relèvent de la même force & de la même cadence, en continuant autant que leur vigueur leur permet : ce manège est très rare & ne dure pas longtemps. Il s'appelle Saut d'un temps ou de Ferme-à-ferme.

Pour dresser un Cheval à caprioles, lorsqu'on lui trouve les qualités & la disposition que nous venons d'expliquer, il faut, après l'avoir assoupli l'épaule en dedans, & lui avoir donné la connaissance des talons au passage & au galop, le faire ensuite lever à pesades dans les piliers, & qu'elles se fassent lentement dans les commencements & fort hautes du devant, afin qu'il ait le temps d'ajuster ses pieds & qu'il lève sans colère. Lorsqu'il sait se lever facilement, & haut du devant, en pliant bien les bras, il faut lui apprendre à détacher la ruade par le moyen de la chambrière, & prendre le temps pour l'appliquer, que le devant soit en l'air & prêt à retomber ; car si on lui en donnait dans le temps qu'il s'élève, il ferait une pointe & se raidirait sur les jarrets. Quand il saura détacher vigoureusement la ruade, le devant en l'air, ce qui forme la capriole, il faut peu à peu diminuer le nombre des pesades & augmenter celui des caprioles, & cesser de le faire sauter, lorsqu'on s'aperçoit qu'il commence à se lasser, car son courage étant abattu, ses forces seraient désunies, & les sauts ne seraient plus que des contre-temps & des défenses.

Lorsqu'il sera obéissant à ce manège dans les piliers, on le passagera en liberté, & on lui dérobera quelque temps de son air sur la ligne droite, en l'aidant de la gaule sur l'épaule, lorsque le devant commence à s'abaisser, & non quand il se lève, ce qui l'empêcheraient d'accompagner de la croupe. Quand on se sert du poinçon, il faut observer la même chose c'est-à-dire, l'appuyer sur le milieu de la croupe, lorsque le Cheval est prêt à retomber du devant, par la même raison. À l'égard des jambes du Cavalier, elles ne doivent point être raides ni trop tendues, mais aisées & près du Cheval. Lorsque le Cheval se retient, il faut se servir des gras de jambes ; cette aide donne beaucoup de liberté à la croupe ; et quelquefois aussi le pincer délicat de l'éperon, lorsqu'il se retient davantage. On doit aussi au haut de chaque saut, tenir un instant le Cheval de la main, comme s'il était suspendu, & c'est ce qu'on appelle, Soutenir.

L'air des caprioles sur les voltes, c'est-à-dire, sur le carré que nous avons proposé pour règle des autres airs, forme le plus beau & le plus difficile de tous les manèges, par la grande difficulté qu'il y a d'observer la proportion du terrain, d'entretenir le Cheval dans une cadence égale, sans qu'il se dérobe ni du devant ni du derrière, ce qui arrive le plus ordinairement. Comme le mouvement de la capriole est plus étendu & plus pénible que celui de tout autre air, il faut que l'espace du terrain soit plus large & moins limité, afin de donner plus de vigueur & de légèreté aux sauts: Il ne faut mettre qu'une demi-hanche dans la volte, comme nous l'avons dit ; ce qui rend ce manège plus juste, & plus parfait; & l'assiette du Cavalier plus ferme & plus belle. On ne doit pas suivre du corps les temps de chaque saut, mais se tenir de façon, qu'il paraisse que les mouvements que l'on fait, soient autant pour embellir sa posture, que pour aider le Cheval.

Le Pas-&-le-Saut, & le Galop-Gaillard.

Lorsque les Chevaux dressés à caprioles commencent à s'user, ils prennent d'eux-mêmes, comme pour se soulager, un air auquel on donne le nom de Pas-&-le-Saut, qui se forme en trois temps ; le premier, est un temps de galop raccourci, ou terre-à-terre ; le second, une courbette ; & le troisième, une capriole. On peut aussi régler à cet air les Chevaux qui ont plus de légèreté que de force, afin de leur donner le temps de rassembler leurs forces, en se préparant par les deux premiers mouvements à mieux s'élever à celui de la capriole ; & ainsi de suite.

Il y a une sorte de Chevaux qui interrompent leur galop, en faisant quelques sauts de gaieté, soit parce qu'ils ont trop de rein ou trop de repos ; ou que le Cavalier les retient trop : c'est ce qu'on nomme Galop-gaillard. Mais ce manège ne doit point passer pour un air puisqu'il naît du caprice & de la fantaisie du Cheval, qui par-là fait seulement voir sa disposition naturelle à sauter, lorsque cette gaieté est ordinaire, & qu'elle n'est pas la suite d'un trop long repos.

19 Des Chevaux de Guerre.

L'Art de la Guerre, & l'Art de la Cavalerie se doivent réciproquement de grands avantages. Le premier a fait connaître de quelle nécessité il est de savoir mener sûrement un Cheval ; & cette connaissance a engagé à établir des principes pour y parvenir: Delà est venu l'établissement des Académies, que les grands Princes se sont toujours fait honneur de protéger. Ces principes mis en pratique, ont contribué à la justesse des différents mouvemenrts qui se font dans les armées. Il ne sera pas difficile de se l'imaginer, en considérant que chaque air de manège conduit à une évolution de la Cavalerie.

Le passage, par exemple, rend noble & relevée l'action d'un Cheval qui est à la tête d'une troupe.

En apprenant à un cheval à aller de côté, on lui apprend à se ranger sur l'un & l'autre talon, soit dans le milieu, ou à la tête de l'escadron, quand il faut en serrer les rangs, & dans quelque occasion que ce soit.

Par le moyen des voltes, on gagne la croupe de son ennemi, & on l'entoure diligemment.

Les passades servent à aller à sa rencontre & à revenir promptement sur lui.

Les pirouettes & les demi-pirouettes donnent la facilité de se retourner avec plus de vitesse dans un combat.

Et si les airs relevés n'ont pas un avantage de cette nature, ils ont du moins celui de donner à un Cheval la légèreté dont il a besoin, pour franchir les haies et les fossés : ce qui contribue à la sûreté, & à la conservation de celui qui le monte.

Enfin il est constant que le succès de la plupart des actions militaires, est dû à l'uniformité des mouvements d'une troupe ; laquelle uniformité ne vient que d'une bonne instruction ; & qu'au contraire, le désordre qui se met souvent dans un escadron, est causé ordinairement par des Chevaux mal dressés ou mal conduits.

De pareilles réflexions ne suffisent-elles pas pour détruire quelques critiques mal fondées de ce qu'on enseigne dans nos Écoles?

Le rapport qui se trouve entre ces deux Arts, a donc fait naître l'émulation parmi la Noblesse, pour acquérir de la capacité dans l'art de monter à cheval, afin de servir son Prince & la Patrie avec plus de fruit. C'est par un motif si glorieux que les anciens Écuyers se sont efforcés de donner au Public les moyens de dresser des Chevaux propres pour la guerre ; & c'est en marchant sur leurs traces que nous allons tâcher d'éclaircir ce qu'ils ont dit de bon sur cette matière.

Il y a deux choses à observer dans un Cheval de guerre ; ses propres qualités, & les règles qu'on doit mettre en usage pour le dresser.

Un cheval destiné pour la guerre, doit être de médiocre stature, c'est-à-dire, de quatre pieds 9. à 10. pouces de hauteur, & qui est celle qu'on demande en France dans presque tous les corps de Cavalerie. Il faut qu'il ait la bouche bonne, la tête assurée, & et qu'il soit léger à la main : ceux qui cherchent dans un Cheval de guerre un appui à pleine main se trompent ; parce que la lassitude le fait peser & appuyer sur son mors. Il doit être de bonne nature, sage, fidèle, hardi, nerveux ; d'une force pourtant qui ne soit pas incommode au Cavalier, mais liante & souple : il faut qu'il ait l'éperon fin & les hanches bonnes, pour pouvoir partir & repartir vivement, & être ferme & aisé à l'arrêt. Il ne doit être aucunement vicieux ou ombrageux ; car quand même il aurait d'ailleurs assez de force, & qu'on l'aurait rendu obéissant, il arrive souvent qu'après quelques jours de repos, ou que par quelque mauvaise main, il retombe dans son vice : comme il faut toujours être en garde sur ces sortes de Chevaux, ils ne sont bons qu'à être confinés dans une École ; car ce serait trop que d'avoir son ennemi à combattre & son Cheval à corriger. Le vice le plus dangereux que puisse avoir un Cheval de guerre, est celui de mordre, & de se jeter sur les autres Chevaux ; parce que dans un combat, où il est animé, on ne peut lui ôter ce défaut.

Lorsqu'on trouvera dans un Cheval toutes les bonnes qualités que nous venons de décrire, il sera aisé à un homme de cheval de le dresser au manège de guerre, en suivant les règles que nous avons données, lesquelles regardent la souplesse & l'obéissance, afin de le rendre prompt à obéir à la main & aux jambes ; ce qu'il fera facilement, si après avoir été assoupli au trot, on l'a confirmé ensuite dans la leçon de l'épaule en dedans & celle de la croupe au mur ; si on lui a appris à tourner diligemment & facilement sur les voltes de combat, c'est-à-dire, sur un cercle la demi-hanche dedans ; si on l'a rendu obéissant au partir de la ligne droite des passades ; facile & aisé à se rassembler aux deux extrémités de la même ligne pour former la demi-volte à chaque main ; si on l'a rendu prompt & agile à bien exécuter une pirouette & une demi-pirouette. Voilà essentiellement ce qu'un Cheval de guerre doit savoir pour ce qui regarde la souplesse & l'obéissance ; mais une autre chose absolument nécessaire, c'est de l'aguerrir au bruit des armes, en l'accoutumant au feu, à la fumée & à l'odeur de la poudre, au bruit des tambours, des trompettes, & au mouvement des armes blanches. Il y a de très braves Chevaux qui tremblent de frayeur à la vue d'un ou de plusieurs de ces objets ; & quoiqu'ils aient les barres sensibles & la bouche bonne, ils perdent tout sentiment de la bride, des éperons, & de toute autre aide, aussi-bien que des châtiments, & s'abandonnent à d'étranges caprices pour fuir l'objet de leur appréhension : Il faut même tenir toujours ces Chevaux en exercice lorsqu'ils sont dressés, car le repos leur fait prendre de nouvelles alarmes ; ce qui prouve que l'art le plus subtil ne peut tout-à-fait effacer, ni vaincre les vices naturels.

M. de la Broue dit, que le remède le plus court & le plus simple pour accoutumer en peu de temps un Cheval au bruit des armes à feu, & des autres rumeurs guerrières, c'est de tirer un coup de pistolet dans l'écurie, & de faire battre la caisse une fois le jour par un Palefrenier, positivement dans le temps qu'on va leur donner l'avoine, & que peu de temps après ils se réjouiront à ce bruit, comme ils faisaient auparavant au son du crible.

Il y en a de tellement ombrageux, qu'ils demeurent à ce bruit les oreilles tendues & droites, roulent & blanchissent les yeux dans la tête, tremblent & suent d'effroi, tiennent une poignée de foin serrée entre les dents sans remuer les mâchoires, & enfin se jettent dans la mangeoire & à travers les barres ; mais avec la patience et l'industrie d'un Cavalier intelligent, on vient à bout des Chevaux de ce naturel.

Il y a une autre façon d'accoutumer les Chevaux au feu ; je l'ai souvent expérimentée & vu pratiquer ; c'est de les mettre dans les piliers : là, sans aucun danger, il est aisé de les accoutumer à tout ce qui peut leur porter ombrage. On leur fait d'abord voir & sentir un pistolet chargé ; on fait jouer la batterie, parce qu'il y en a beaucoup qui s'effraient au bruit de la détente & du cliquetis. Quand ils sont faits à ce bruit, on brûle une amorce en se tenant loin du Cheval, le dos tourné vis-à-vis de sa tête ; on s'en approche après pour lui faire sentir le pistolet & l'accoutumer à l'odeur de la fumée. Il faut toujours le flatter en l'approchant, & lui donner quelque chose à manger ; car ce n'est que par la douceur & les caresses qu'on apprivoise ces animaux. On met ensuite une nouvelle amorce, en accomodant le pistolet vis-à-vis de lui ; & lorsqu'il est fait à l'odeur & à la fumée de la poudre, il faut commencer à tirer en mettant une petite charge d'abord & peu bourrer ; on tire le dos tourné & un peu loin, on revient d'abord après le coup lui faire sentir le pistolet & le flatter ; suivant qu'il s'accoutume, on augmente la charge, on tire de plus près, & enfin on tire de dessus. Il faut avec la même douceur & la même patience, l'accoutumer au bruit des tambours, au mouvement des étendards & au bruit des armes blanches. Les Chevaux timides, qui ordinairement ont peu de force, & ceux qui n'ont pas la vue bonne, s'accoutument au feu plus difficilement que les Chevaux vigoureux & dont la vue est saine ; & quoiqu'avec le temps on en vienne à bout, je ne conseillerais pas de se servir de pareils Chevaux pour la guerre.

Ce n'est pas seulement dans les bornes d'un manège qu'il faut accoutumer un Cheval de guerre à tout ce que nous venons de dire ; il faut souvent l'exercer en pleine campagne & dans les grands chemins, où il se trouve une infinité d'objets qui effraient ceux qu'on sort rarement ; les moulins surtout, tant à eau qu'à vent & les ponts de bois, sont un grand sujet d'alarme pour bien des Chevaux ; mais s'ils connaissent la main & les jambes ; que le Cavalier sache se servir à propos de ses aides ; & qu'il ait le génie & la patience qu'il faut avoir, il viendra bientôt à bout de ces difficultés : Surtout il ne faut point dans ces occasions, battre les jeunes Chevaux ; parce que, comme nous l'avons dit ailleurs, la crainte des coups, jointe à celle de l'objet qui leur fait ombrage, leur accable la vigueur, & les rebute totalement.

20 Des Chevaux de Chasse.

Quoique la Chasse ne soit regardée que comme un amusement, cet exercice n'en mérite pas moins d'attention ; puisque c'est celui que les Rois & les Princes préfèrent à tous les autres. Cette inclination est sans doute fondée sur la conformité qui se rencontre entre la chasse & la guerre. En effet, de part & d'autre on voit un objet à dompter, des fatigues à essuyer, des dangers à éviter, & des ruses à pratiquer. Il n'est donc pas étonnant, qu'un exercice qui a tant de rapports aux sentiments d'héroïsme inséparables des grands Princes, fixe leur goût dans leurs plaisirs. Ce n'est point ici le lieu d'examiner toutes les différentes parties de la chasse, ni de placer un éloge dont tous ceux qui pensent noblement sont remplis : mais les jours d'une Souverain sont trop précieux à ses Sujets pour ne pas les exciter à sa conservation autant qu'il est en leur pouvoir. Nous venons de dire que la chasse a ses dangers aussi bien que la guerre : la plupart des accidents qui y arrivent sont causés par des Chevaux mal choisis ou mal dressés ; c'est pourquoi nous avons cherché avec soin tout ce qui peut conduire à la connaissance d'un bon Cheval de chasse, & à la facilité de le dresser à cet exercice.

Bien des gens pensent que la façon de dresser des Chevaux de guerre & de chasse, est tout-à-fait opposée aux règles du manège. Une opinion si mal fondée, & malheureussement trop générale, fait négliger les vrais principes. N'ayant donc pour guide que la fausse pratique de ceux qui ont fait naître & qui favorissent cette erreur, on n'acquiert qu'une fermeté sans grâce & une exécution forcée & sans fondement. Pourrait-on avec un peu de jugement, avancer qu'un Cavalier capable de pratiquer les principes d'une bonne École, & par lesquels il est en état de juger de la nature de son Cheval, & de lui former un air, n'a pas plus de facilité encore pour assouplir & rendre obéissant celui qu'on destine à la guerre, & pour étendre et donner de l'haleine à celui qu'il juge propre pour la chasse, puisque ce ne sont là que les premiers éléments de l'art de monter à cheval?

Le choix d'un bon coureur est très dificile à faire ; car outre les qualités extérieures des autres Chevaux, il doit encore avoir particulièrement beaucoup d'haleine, de légèreté & de sûreté. Ces qualités doivent lui être naturelles ; l'art ne peut tout au plus que les perfectionner.

Un Cheval de chasse ne doit pas être trop traversé ni trop raccourci de corps ; parce que ces sortes de Chevaux n'ont pas ordinairement l'haleine & la facilité nécessaires aux bons coureurs. Il doit être un peu long de corps, relevé d'encolure, & avoir les épaules libres & plates, les jambes larges et nerveuses, sans être trop long-jointé ; il faut avec cela qu'il soit naturellement vite, sensible à l'éperon, & dans un appui léger.

M. de la Broue dit, que «les Chevaux qui ne conviennent point pour la chasse, sont ceux qu'une timidité naturelle empêche de courir vite, par la crainte qu'ils ont de hasarder leurs forces en courant : ceux qui se méfient de leurs forces par quelqu'imperfection naturelle ou accidentelle : ceux qui sont pesants et paresseux de leur nature : ceux qui sont rebutés à force de courir, que la simple appréhension de la course retient, rend vicieux et rétifs : ceux qui avec beaucoup de rein, aiment mieux fournir un nombre de sauts, que de distriuer leurs forces à l'action de la course : ceux enfin que la pure malice et la poltronnerie retient».

Quoique tous ces différents Chevaux puissent absolument être dressés à courre, en suivant les règles de l'Art : on ne pourra jamais leur donner les qualités essentielles à un bon coureur, qui sont, comme nous venons de le dire, de galoper légèrement, sûrement & longtemps. Ces qualités ne se trouvent qu'avec une souplesse naturelle dans les membres, & que l'on perfectionne par le trot ; une liberté dans les épaules, & un appui léger à la bouche, que l'on confirme par le galop ; une haleine & un courage suffisants, que l'on augmente par l'exercice.

Le trot, qui est la première règle pour assouplir toutes sortes de Chevaux, doit être plus étendu & plus allongé, que relevé, dans un Cheval de chasse, afin de lui apprendre à bien déployer les bras & les épaules. Le bridon est excellent pour donner cette première souplesse à un Cheval : on peut avec cet instrument, dont nous avons donné la description & l'usage dans le Chapitre troisième, le plier facilement & sans trop le gêner ; lui apprendre à tourner promptement & librement aux deux mains, sans lui offenser les barres & la place de la gourmette, ni lui déranger la bouche ; & le rendre aussi souple que ses forces & sa disposition lui permettent de le devenir. Il faut le trotter aux deux mains sans aucune observation de terrain, mais varier à tout moment l'ordre de la leçon du trot, le tournant tantôt à droite, tantôt à gauche sur un cercle ; quelquefois sur une ligne droite, plus ou moins longue, suivant qu'il se retient ou s'abandonne. On doit le tenir sur la leçon du trot, jusqu'à ce qu'il obéisse au moindre mouvement de la main & des jambes, & qu'il ait appris la facilité de tourner promptement & librement aux deux mains. Lorsqu'il est à ce point, on lui met un mors convenable à sa bouche; après quoi on lui donne la leçon de l'épaule en dedans, non-seulement pour lui assouplir les côtes, lui faire connaître les jambes, & lui faire la bouche ; mais essentiellement pour lui apprendre à avancer la jambe de derrière de dedans sous le ventre, qui est une qualité absolument nécessaire dans un Cheval de chasse, afin qu'il galope plus uniment, plus commodément & de meilleure grâce. Il faut aussi le tenir un peu ensemble en le mettant l'épaule en dedans, non pas dans une posture aussi raccourcie, que si on voulait le dresser pour le manège ; on doit au contraire l'étendre davantage, pour lui donner cette grande facilité de bien déployer & allonger ses bras & ses épaules : il ne faut pourtant pas l'étendre si fort, qu'il contracte le défaut de peser à la main, dont il faudrait le corriger par les arrêts, les demi-arrêts, & le reculer.

Après la leçon du trot perfectionnée par celle de l'épaule en dedans, des arrêts, des demi-arrêts, & du reculer ; il faut enfin le galoper pour lui augmenter la légèreté des épaules, lui assurer & adoucir l'appui de la bouche, & le confirmer dans l'habitude du galop de chasse. Cette liberté d'épaules, qui est une partie des plus essentielles pour un Cheval de chasse, s'acquiert aisément, si après avoir été trotté dans les règles, on sait lui étendre les épaules & lui faire déployer les bras, sans que le mouvement du galop soit trop relevé, ni trop près de terre : Par le premier défaut, il ferait ce qu'on appelle, Nager en galopant, & il ne pourrait s'étendre : & le second défaut le ferait broncher pour la moindre pierre ou éminence qu'il rencontrerait, en rasant de trop près le tapis.

Il faut convenir que la nature semble avoir formé les Chevaux exprès, auxquels elle a donné ce mouvement d'épaules libre & allongé, qui fait le plus grand mérite d'un coureur. Les Chevaux Anglais plus que tous les autres Chevaux de l'Europe ont cette qualité ; aussi leur voit-on fournir avec une vitesse incroyable des courses de quatre milles d'Angleterre, qui font environ deux petites lieues de France, telles que celles qui se font à Newmarket, où un Cheval, pour gagner le prix, doit arriver au but ordinairement en huit minutes, quelquefois moins. Leurs autres chevaux de chasse vont souvent des journées entières sans débrider, & toujours à la queue des chiens dans leur chasse du Renard, en franchissant les haies & les fossés qui se trouvent souvent dans un pays couvert & coupé, comme l'Angleterre. Je suis persuadé que si les chevaux Anglais avec de pareilles dispositions étaient assouplis par les règles de l'Art, ils galoperaient plus sûrement & plus commodément ; ne se ruineraient pas si-tôt les jambes, comme il arrive à la plupart, auxquels les jambes tremblent après deux ou trois ans de service. La raison de cette faiblesse qui ne paraît pas naturelle, mais plus vraisemblablement accidentelle, vient sans doute de ce qu'on les galope trop jeunes, & sans avoir été auparavant assouplis au trot ; & de ce qu'on les galope toujours avec le bridon, duquel on ne doit faire usage, que pour les assouplir ; cet instrument n'étant point fait pour soutenir le devant, ni pour donner de l'appui, il arrive qu'un Cheval n'est point soulagé dans son galop ; & que le poids du Cavalier joint à la pesanteur naturelle des épaules, du col & de la tête du Cheval lui fatigue les nerfs, les tendons & et les ligaments des jambes ; d'où s'ensuit nécessairement la ruine de cette partie qui occasionne le défaut de broncher : c'est pour cela que les anciens Écuyers ont inventé le mors, afin de soutenir l'action du Cheval dans toutes ses allures, surtout celle du galop, où étant plus étendu, il est plus sujet à faire de fausses positions.

Lorsqu'on commence à galoper un Cheval destiné pour la chasse, il ne faut pas lui demander d'abord un galop trop étendu ; parce que n'ayant point encore l'habitude de galoper librement, il s'appuierait sur la main : il ne faut pas non plus un galop raccourci, qui l'empêcherait de se déployer comme il doit ; mais il faut le mener dans un galop uni, sans le retenir ni le chasser trop, comme s'il galopait de lui-même n'étant point monté. C'est la main légère, accompagnée de fréquentes descentes de main, qui donne le galop dont nous parlons. La descente de mains, qui est une aide excellente pour toutes sortes d'airs, semble avoir été inventée exprès pour les Chevaux de chasse, afin de leur apprendre à galoper sans bride, & sans que le Cavalier soit obligé de les soutenir à tout moment. Il faut que la leçon du galop se fasse, tantôt sur un cercle large & étroit comme au trot, & tantôt sur la ligne droite ; & ne pas faire de longues reprises dans les commencements : au lieu de lui augmenter l'haleine, & de lui donner la facilité du galop, on l'endurcirait & on le rebuterait. On doit aussi quitter souvent le galop & reprendre le pas, afin de donner au Cheval le temps de respirer ; & sitôt qu'il a repris haleine, il faut repartir au galop. Cette manière de mener un Cheval alternativement, du galop au pas, et du pas au galop, lui donne avec le temps autant d'haleine, que ses forces & son courage lui en permettent. C'est au Cavalier à juger de la longueur de la reprise du galop : lorsqu'il sent que l'haleine commence à lui manquer, il doit le remettre au pas ; & de même diminuer les temps du pas, lorsqu'il sent qu'il peut fournir plus longtemps au galop. Une autre attention qui est de conséquence, c'est de faire en sorte à chaque arrêt de galop, que le Cheval ne fasse pas pas un seul temps de trot, au lieu de se remettre au pas : ce qui incommode beaucoup le Cavalier : il faut l'accoutumer à reprendre le pas immédiatement après le dernier temps du galop ; & de même pour reprendre du pas au galop, il faut que cela se fasse d'un seul coup.

Quand on s'aperçoit qu'un Cheval commence à prendre de l'haleine, & qu'il peut fournir de longues reprises au galop, sans souffler ni trop suer, il faut alors le mener dans un galop plus étendu, qu'on appelle galop de chasse ; sans assujetir la posture de la tête, au principe de la tenir perpendiculaire du front au bout du nez, comme aux Chevaux de manège ; on la lui doit laisser un peu plus libre, afin qu'il puisse respirer & ouvrir les naseaux avec plus de facilité ; sans pourtant qu'il ait le nez au vent; car tout Cheval qui galope la tête haute et déplacée, est plsu sujet à broncher, que celui qui voit son chemin & l'endroit où il pose les pieds en galopant.

Une excellente leçon que j'ai vu pratiquer à d'habiles gens, pour un Cheval de chasse ; c'est de galoper sur un cercle large à main gauche, en tenant le Cheval un peu plié à droite & uni sur le pied droit. Cette façon de tourner à gauche, quoiqu'il galope sur le pied droit, lui apprend à ne point se désunir, lorsqu'on est obligé de lui renverser l'épaule ; c'est-à-dire, de tourner tout court à gauche ; ce qui arriverait souvent, s'il n'était pas fait à ce mouvement, & causerait un contre-temps qui incommoderait le Cavalier et dérangerait son assiette. Les anciens Écuyers avaient encore une méthode que j'approuve fort, pour galoper leurs Chevaux de guerre & de chasse : c'était de galoper un Cheval en serpentant, c'est-à-dire, au lieu de galoper sur tout le cercle, ils faisaient continuellement des portions de cercle, en renversant à tout moment les épaules sans changer de pied, & en décrivant à peu près le même chemin, que celui que fait un serpent ou une anguille lorsqu'ils rampent. Rien ne confirme mieux un Cheval sur le bon pied, & ne lui assure tant les jambes, que cette leçon. Elle est aisée à pratiquer, lorsque le Cheval y a été préparé en le galopant sur un cercle à gauche, placé & uni à droite.

Ce n'est point, comme nous l'avons dit dans le Chapitre précédent, dans les bornes d'un manège, qu'il faut toujours tenir un Cheval qu'on dresse pour la guerre ou pour la chasse ; il faut l'exercer souvent en pleine campagne, afin de l'accoutumer à toutes sortes d'objets, & de lui apprendre aussi à galoper sûrement sur toutes sortes de terrains ; comme terres labourées, terrains gras, prés, descentes, montagnes, vallons, bois.

Nous ne répétons point ici ce qu'il faut faire pour accoutumer un Cheval au feu, qui est une chose essentielle à un coureur ; mais une autre qualité que doit avoir particulièrement un cheval de chasse, c'est de savoir franchir les haies & les fossés, afin de ne pas demeurer en chemin, lorsqu'on rencontre quelqu'un de ces obstacles. M. de la Broue donne à ce sujet une leçon que je crois praticable et bonne ; c'est d'avoir une claie d'environ 3. à 4. pieds de large sur 10. à 12. de long ; la tenir d'abord couchée par terre, & la faire sauter au Cheval au pas, au trot, & ensuite au galop : & s'il met les pieds sur la claie, au lieu de la franchir, le châtier de la gaule & de l'éperon. On la fait ensuite soulever de terre, environ d'un pied ; & à mesure qu'il la franchit librement, on la lève de plus en plus jusqu'à sa hauteur ; ensuite on la garnit de branches & de feuilles. Cette méthode, qu'il dit avoir souvent pratiquée, apprend sûrement à un Cheval à s'étendre & à s'allonger pour le saut des haies & des fossés ; mais cette leçon, qui est nécessaire pour un Cheval de guerre & de chasse, ne doit s'employer que lorsqu'il est obéissant au tourner aux deux mains, au partir de main, au parer, & lorsqu'il a la tête placée & la bouche ajustée.

Il y a une espèce de Chevaux de chasse que l'on appelle, Chevaux d'Arquebuse : ce sont ordinairement de petits Chevaux que l'on dresse pour chasser au fusil. Ceux-ci doivent avoir à peu près les mêmes qualités que les coureurs ; mais ils doivent être parfaitement apprivoisés & faits au feu, en sorte qu'ils suivent l'homme & qu'ils soient inébranlables au mouvement & au bruit du fusil. Il faut encore qu'ils ne s'épouvantent pas au partir & au vol du gibier. On les accoutume d'abord à s'arrêter lorsqu'on prononce le terme de Hou ; mais les plus subtils & les plus adroits apprennent à ces sortes de Chevaux à s'arrêter court & sans remuer, même en galopant, dans le temps qu'ils abandonnent toute la bride sur le col pour coucher en joue. Un Cheval d'Arquebuse, bien sage, & bien dressé à cet usage, est très recherché ; mais comme on a plus besoin pour toutes ces attentions (qui sont pourtant essentielles) de patience que de science ; nous n'entrerons pas dans un plus grand détail ; ce que nous en avons dit nous paraissant suffisant.

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Auteur: François Robichon de La Guérinière

Created: 2018-09-06 jeu. 14:05

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